Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 3.djvu/198

Cette page a été validée par deux contributeurs.

doubles images du stéréoscope. Après de vains efforts, le physicien du Conservatoire des Arts et métiers fut donc forcé de déclarer à son tour, qu’il n’y voyait, comme on dit, que du feu.

Il y avait cependant un membre de la section de physique de l’Académie qui n’avait ni diplopie ni strabisme, et qui, loin d’être borgne ou d’avoir l’œil voilé, y voyait parfaitement clair de toutes manières : c’était l’illustre Biot. M. l’abbé Moigno alla donc, en toute confiance, sonner à la porte du doyen de l’Académie, qui demeurait au Collége de France.

Biot, nous venons de le dire, avait d’excellents yeux ; seulement, quand on lui présenta le stéréoscope, il fut subitement frappé de cécité. Expliquons-nous : il fut aveugle volontaire ; en d’autres termes, il refusa de voir, après avoir consenti à grand-peine à regarder. Ce phénomène d’optique contrariait-il la théorie classique de l’émission de la lumière, la doctrine de Newton, dont Biot fut le constant et le brillant défenseur ? Nous n’entreprendrons pas de le décider ; toujours est-il qu’une cécité volontaire le frappa, comme elle avait frappé, dans des conditions toutes semblables, le physiologiste Magendie, qui, un jour, et devant une commission académique, refusa obstinément de mettre l’œil au microscope, pour constater, d’un simple regard, une de ses erreurs anatomiques.

Voilà avec quel empressement les physiciens de l’Académie, auxquels s’adressa le patron bénévole de l’invention de Brewster, accueillirent cette communication.

Heureusement, il y avait au Collége de France, à deux pas de l’appartement de Biot, un autre physicien, membre de l’Académie, qui n’est jamais, ni volontairement ni involontairement, aveugle : c’est M. Regnault. Le jeune et célèbre physicien examina avec la plus grande attention l’appareil de son collègue de Londres. Il fut charmé de ses effets, et il l’appuya très-chaudement, à partir de ce jour, auprès des savants de la capitale.

La glace étant ainsi rompue, la fortune commença à sourire à l’ingénieux instrument qui nous arrivait d’Angleterre. Les journaux scientifiques et autres parlèrent de ses remarquables effets, de ses révélations et de ses surprises ; la vogue se mit de la partie, et nos opticiens commencèrent à fabriquer par milliers des stéréoscopes à prismes.


CHAPITRE II

faits à l’appui de la théorie du stéréoscope et de la vision stéréoscopique.

Depuis l’année 1852, époque à laquelle le stéréoscope commença à se répandre en Angleterre et en France, on a modifié de différentes manières le stéréoscope à prismes, sans rien changer pourtant de bien essentiel à ses dispositions. On a seulement construit un grand nombre de stéréoscopes nouveaux, plus compliqués ou plus puissants, et que nous aurons à faire connaître. Mais avant de décrire chacun de ces stéréoscopes en particulier, il est indispensable, pour l’intelligence du sujet, de donner quelques explications sur la théorie du stéréoscope, théorie que nous n’avons fait que poser en principe, au commencement de cette notice, sans en présenter les preuves. Nous avons maintenant à donner la démonstration de ce principe.

Quand nous regardons un objet avec nos deux yeux, nous le voyons tel qu’il est, c’est-à-dire saillant, solide et en relief. Mais ce relief, nous le faisons comme M. Jourdain faisait de la prose, c’est-à-dire sans le savoir. Il est dû à la superposition, à l’accouplement, des deux images planes et dissemblables, qui se forment sur la rétine de chacun de nos deux yeux.

Cette proposition semble, au premier abord, abstraite et difficile à comprendre ; mais une expérience que tout le monde peut faire, en démontrera l’exactitude et la simplicité.