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l’étude de ces copies si parfaites de la nature est susceptible de rendre de grands services aux études du dessinateur et du peintre.

Telles sont les opinions assez tranchées qui divisent les artistes sur la valeur des épreuves photographiques. Au point de vue de la métaphysique des arts, en ce qui concerne la pratique de la peinture et du dessin, cette question a son importance, et nous croyons nécessaire de la traiter ici.

Considérées dans leur valeur absolue comme objet d’art, les images photographiques présentent certaines imperfections qu’il est facile de signaler.

Les tons de la nature y sont altérés presque constamment. Si l’on a sous les yeux une épreuve photographique et son modèle, on reconnaîtra sans peine que les tons de la copie et ceux de l’objet reproduit sont loin de correspondre entre eux. Tel ton, vigoureux sur le modèle, est peu sensible sur l’épreuve fournie par l’instrument ; au contraire, une nuance lumineuse d’une faible valeur dans la nature, se trouve accusée sur l’épreuve, avec un éclat tout à fait exagéré. Aussi la plupart des demi-teintes sont-elles en général forcées ; il résulte de là que l’épreuve photographique est habituellement dure. Le regrettable effet dont nous parlons tient, sans doute, à ce que les différentes couleurs des objets extérieurs, ont une action propre et variable sur les substances chimiques qui recouvrent la plaque, action qu’il est aussi impossible de prévoir que de diriger. Personne n’ignore, par exemple, les difficultés que présentent la couleur verte et la couleur rouge pour la reproduction photographique.

En second lieu, dans les images photographiques, la perspective linéaire et la perspective aérienne sont faussées. L’altération de la perspective linéaire est la conséquence presque inévitable de l’emploi d’un appareil optique. Les objets placés à des distances inégales, ont des foyers lumineux distincts les uns des autres, et quelle que soit la perfection de l’objectif, il est impossible qu’il fasse converger en un même point les rayons lumineux émanant d’objets fort éloignés entre eux. Tout le monde a remarqué, par exemple, que dans un portrait, si les mains se trouvent placées sur un plan sensiblement antérieur au plan du visage, elles viennent toujours d’une dimension exagérée et tout à fait hors de proportion. C’est par la même raison que sur les portraits photographiques, les nez sont toujours amplifiés.

L’altération de la perspective aérienne est aussi la conséquence presque forcée du procédé photographique. La substance qui reçoit l’impression de la lumière est, relativement, plus sensible que notre œil même ; il en résulte que les aspects lointains, les objets situés à l’extrémité de l’horizon, sont reproduits avec plus de netteté qu’ils n’en présentent à nos yeux, c’est-à-dire contrairement aux effets de la perspective aérienne.

Un autre vice de la photographie réside dans son défaut absolu de composition. Le daguerréotype ne compose pas, il donne une copie, un fac-simile de la nature ; cette copie est admirable d’exactitude jusque dans ses derniers détails, mais c’est précisément là qu’est l’écueil. Une œuvre d’art vit tout entière par la composition. Le travail du peintre consiste surtout à atténuer un grand nombre d’effets secondaires, qui nuiraient à l’effet général, et à mettre en relief certaines parties qui doivent dominer l’ensemble. Quand un artiste exécute un portrait, il n’a garde de reproduire avec un soin minutieux, tous les plis des vêtements, tous les dessins de la draperie, toutes les enjolivures du fond ; il éteint ces détails inutiles, pour concentrer l’intérêt sur les traits du visage ; à cette idée capitale il sacrifie toutes les autres, volontairement et en connaissance de cause. Ne demandez à la photographie aucun de ces artifices salutaires qui sont l’indispensable condition de l’art. Elle est inexorable et presque brutale dans sa vérité. Elle accorde une im-