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et sans reflet. Si faible et si décolorée en apparence, que soit la nuance de cette encre, elle n’en a pas moins conservé ses qualités anti-photogéniques, opposées aux qualités photogéniques de la surface du parchemin. Grâce à cette opposition, on peut obtenir sur la surface sensible, des caractères parfaitement noirs et se détachant bien sur un fond légèrement teinté, tandis que l’original ne présentait plus qu’une écriture pâle sur un fond très-foncé et de même couleur.

De ce principe que la photographie peut servir à la restauration des écritures anciennes, M. Camille Silvy a donné, en 1865, une preuve nouvelle. Il a fait reparaître sur une vieille estampe, des caractères d’écriture que personne n’avait jamais aperçus. Ce que nul œil humain n’avait vu, la photographie l’a dévoilé, M. Silvy a présenté, à la Société de photographie de Paris une gravure, et la reproduction qu’il en avait faite par la photographie. Cette gravure représente le portrait du prince-cardinal Emmanuel-Théodore de la Tour d’Auvergne, duc d’Albret. Au bas, était une note écrite à la main, indiquant le lieu et la date de la mort du personnage, mais tellement illisible qu’elle échappait entièrement aux regards. Le baron Marochetti, à qui appartient la gravure, ne l’avait pas lui-même aperçue avant qu’elle vînt se révéler dans la reproduction photographique. Les caractères en avaient été grattés, sans doute par une personne qui croyait que cette ligne d’écriture gâtait la gravure ; les dernières lettres seules étaient encore apparentes, et le peu d’encre restée dans le papier, était tellement décolorée qu’elle ne se détachait plus du fond. Cependant, la copie photographique rendit très-distinctement l’écriture effacée, et l’on put lire cette note, ainsi conçue : « Mort doyen des cardinaux à Rome le 3 mars 1715, âgé de 72 ans[1]. »

M. Silvy proposait d’appliquer le même procédé à la restauration des palimpsestes, c’est-à-dire des parchemins anciens qui ont reçu successivement plusieurs écritures. Le parchemin étant une substance assez chère, il arrivait assez souvent, au moyen âge, que les copistes grattaient d’anciens manuscrits, pour en consacrer le parchemin à recevoir de nouvelles écritures. Plus d’une fois on a réussi, en ravivant les caractères effacés, à reconstituer le texte primitif. C’est ce qui advint pour les fragments du dialogue de Cicéron, De Republica. Le cardinal Angelo Mai fit reparaître ces fragments, qui avaient été grattés pour recevoir une copie des Commentaires de saint Augustin. Le cardinal Angelo Mai a publié, en 1822, ces fragments de Cicéron.

Mais la méthode employée pour faire revivre les caractères effacés, est pleine d’inconvénients. C’est avec une dissolution de tannin étendue sur le papier, que l’on fait reparaître ces écritures. Or la dissolution de tannin endommage les manuscrits et les expose à une détérioration complète. M. Silvy propose donc de soumettre à des opérations photographiques les palimpsestes conservés à la bibliothèque du Vatican, à Rome, pour essayer d’y découvrir les anciens corps d’écriture effacés. Nous ignorons si cette curieuse proposition a eu quelque suite. Nous la citons seulement comme une preuve des services que la photographie peut rendre aux sciences historiques et archéologiques.

  1. L’obligeant et distingué secrétaire de la Société de photographie, M. Martin Laulerie, m’a raconté un fait semblable. Il vit un jour arriver chez lui un photographe tout rayonnant de joie. Chargé de reproduire une vieille estampe, notre homme avait découvert, avec surprise, sur sa reproduction photographique, quelques lignes d’écriture manuscrite qui n’existaient point sur l’estampe. Ce succès inattendu exaltait outre mesure son orgueil. « Je suis tellement fort, disait-il, que je photographie non-seulement ce que je vois, mais encore ce que je ne vois pas : je suis le photographe du visible et de l’invisible. » Il était loin cependant de compter parmi les habiles de sa profession ; c’était un photographe de sixième catégorie, un photo-gnaf, comme on dit en termes d’atelier. Il faisait honneur à sa prétendue habileté de ce qui n’était que le résultat et l’accident heureux de l’art lui-même.