Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 3.djvu/16

Cette page a été validée par deux contributeurs.

le meilleur. Car il est impossible de trouver une substance qui soit plus susceptible de retenir les moindres impressions de la lumière. L’enduit de la volière du côté de la basse-cour, est d’une couleur rembrunie. Mais au-dessus de la porte et jusqu’à celle du tecq-à-pourceaux, il y a une plaque blanche qui se trouve marquée très-distinctement en noir sur la gravure.

« Quoique j’aie encore beaucoup à faire avant d’atteindre le but, c’est déjà quelque chose. J’ai bien essayé de graver sur le métal à l’aide de certains acides, mais jusqu’ici je n’ai rien obtenu de satisfaisant, le fluide lumineux ne paraît pas modifier d’une manière sensible l’action des acides. Cependant mon intention n’est pas d’en rester là, parce que ce genre de gravure serait encore supérieur à l’autre, toute réflexion faite, à raison de la facilité qu’il donnerait de multiplier les épreuves, et de les avoir inaltérables. Si je parviens à obtenir d’une manière ou de l’autre de bons résultats, je m’empresserai, mon cher ami, de te les faire connaître[1]. »

Nous disons qu’il est impossible de savoir aujourd’hui quelle était la substance chimique dont Niépce faisait usage pour obtenir ses impressions lumineuses. En effet, le nom de la substance n’est pas prononcé dans les lettres que nous venons de citer.

Cette substance ne devait pas le satisfaire sans doute, car nous allons le voir faire des essais photographiques avec des matières nouvelles qu’il fait connaître à son frère, et qui sont d’abord le chlorure de fer, ensuite l’oxyde noir de manganèse. Le 16 juin, il écrivait à son frère, la lettre suivante :

«… J’avais lu qu’une solution alcoolique de muriate de fer, qui est d’un beau jaune, devenait blanche au soleil, et reprenait à l’ombre sa couleur naturelle. J’ai imprégné de cette solution un morceau de papier que j’ai fait sécher, la partie exposée au jour est devenue blanche, tandis que la partie qui se trouvait hors du contact de la lumière, est restée jaune. Mais cette solution attirant trop l’humidité de l’air, je ne l’ai plus employée, parce que le hasard m’a fait trouver quelque chose de plus simple et de meilleur.

« Un morceau de papier couvert d’une ou de plusieurs couches de rouille ou safran de Mars, et exposé aux vapeurs du gaz acide muriatique oxygéné, devient d’un beau jaune jonquille, et blanchit mieux et plus vite que le précédent. Je les ai placés l’un et l’autre dans la chambre obscure, et cependant l’action de la lumière, n’a produit sur eux aucun effet sensible, quoique j’aie eu soin de varier la position de l’appareil. Peut-être n’ai-je pas attendu assez longtemps, et c’est ce dont il faudra encore m’assurer ; car je n’ai fait qu’effleurer la matière.

« Je croyais aussi comme toi, mon cher ami, qu’en mettant dans la boîte optique une épreuve bien marquée sur un papier teint d’une couleur fugace, ou recouvert de la substance que j’emploie, l’image viendrait se peindre sur ce papier avec ses couleurs naturelles ; puisque les parties noires de l’épreuve, étant plus opaques, intercepteraient plus ou moins le passage des rayons lumineux ; mais il n’y a eu aucun effet de produit. Il est à présumer que l’action de la lumière n’est point assez forte ; que le papier que j’emploie est trop épais, ou qu’étant trop couvert, il offre un obstacle insurmontable au passage du fluide ; car j’applique jusqu’à six couches de blanc. Tels sont les résultats négatifs que j’ai obtenus ; heureusement qu’ils ne prouvent encore rien contre la bonté de l’idée, et qu’il est même permis de revenir là-dessus avec quelque espoir de succès.

« Je suis aussi parvenu à décolorer l’oxyde noir de manganèse, c’est-à-dire qu’un papier peint avec cet oxyde, devient parfaitement blanc lorsqu’on le met en contact avec le gaz acide muriatique oxygéné. Si, avant qu’il soit tout à fait décoloré, on l’expose à la lumière, il finit par blanchir en très-peu de temps ; et lorsqu’il est devenu blanc, si on le noircit légèrement avec ce même oxyde, il est encore décoloré par la seule action du fluide lumineux. Je pense, mon cher ami, que cette substance mérite d’être soumise à de nouvelles épreuves, et je compte bien m’en occuper plus sérieusement.

« J’ai voulu aussi m’assurer si ces différents gaz pourraient fixer l’image colorée ou modifier l’action de la lumière, en la faisant communiquer à l’aide d’un tube avec l’appareil, pendant l’opération. Je n’ai encore employé que le gaz muriatique oxygéné, le gaz hydrogène et le gaz carbonique ; le premier décolore l’image, le second ne m’a paru produire aucun effet sensible ; et le troisième détruit en grande partie, dans la substance dont je me sers, la faculté d’absorber la lumière. Car cette substance, tant que le contact du gaz a lieu, se colore à peine dans les parties même les plus éclairées ; et cependant ce contact a duré plus de huit heures. Je reprendrai ces expériences intéressantes, et j’essayerai successivement plusieurs autres gaz, surtout le gaz oxygène qui, à raison de ses affinités avec les oxydes métalliques et la lumière, mérite une attention particulière.

« Enfin, mon cher ami, j’ai fait de nouveaux essais pour parvenir à graver sur le métal à l’aide des acides minéraux ; mais les acides que j’ai employés, c’est-à-dire l’acide muriatique, l’acide nitreux, ainsi que l’acide muriatique oxygéné, soit sous forme ga-

  1. La Vérité sur l’invention de la photographie, p. 71-72.