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« Je vais m’occuper de trois choses : 1o de donner plus de netteté à la représentation des objets ; 2o de transposer les couleurs ; 3o et enfin de les fixer, ce qui ne sera pas le plus aisé. Mais, comme tu le dis fort bien, mon cher ami, nous ne manquons pas de patience, et avec de la patience on vient à bout de tout. Si je suis assez heureux pour perfectionner le procédé en question, je ne manquerai pas de t’adresser de nouveaux échantillons pour répondre au vif intérêt que tu veux bien prendre à une chose qui pourrait être utile aux arts, et dont nous pourrions tirer un bon parti[1]. »

Par le mot transposer les couleurs, il faut entendre rétablir les véritables tons de la nature, c’est-à-dire obtenir, au lieu d’une image négative, une image positive, représentant les ombres et les clairs tels qu’ils sont dans la nature.

Le 28 du même mois, Joseph-Nicéphore envoyait à son frère les plaques sur lesquelles il avait obtenu ce qu’il nomme « les gravures », et qui n’était que des planches métalliques portant les impressions produites par la lumière.

« Je m’empresse, écrivait-il, de te faire passer quatre nouvelles épreuves, deux grandes et deux petites, que j’ai obtenues plus nettes et plus correctes à l’aide d’un procédé très-simple, qui consiste à rétrécir avec un disque de carton percé, le diamètre de l’objectif. L’intérieur de la boîte étant moins éclairé, l’image en devient plus vive, et ses contours, ainsi que les ombres et les jours, sont bien mieux marqués. Tu en jugeras par le toit de la volière, par les angles de ses murs, par les croisées dont on aperçoit les croisillons ; les vitres mêmes paraissent transparentes en certains endroits ; enfin le papier retient exactement l’empreinte de l’image colorée ; et si l’on n’aperçoit pas tout distinctement, c’est que l’image de l’objet représenté étant très-petite, cet objet paraît tel qu’il serait s’il était vu de loin. D’après cela, il faudrait, comme je te l’ai dit, deux verres à l’objectif pour peindre convenablement les objets éloignés, et en réunir un plus grand nombre sur la rétine ; mais ceci est une affaire à part. La volière étant peinte renversée, la grange ou plutôt le toit de la grange est à gauche au lieu d’être à droite. Cette masse blanche qui est à droite de la volière, au-dessus de la claire-voie, qu’on ne voit que confusément, mais telle qu’elle est peinte sur le papier par la réflexion de l’image, c’est le poirier de beurré blanc qui se trouve beaucoup plus éloigné ; et cette tache noire au haut de la cime, c’est une éclaircie qu’on aperçoit entre les branches. Cette ombre, à droite, indique le toit du four qui paraît plus bas qu’il ne doit être, parce que les boîtes sont placées à cinq pieds (1m, 62) environ au-dessus du plancher. Enfin, mon cher ami, ces petits traits blancs marqués au-dessus du toit de la grange, ce sont quelques branches d’arbres du verger qu’on entrevoit et qui sont représentées sur la rétine. L’effet serait bien plus frappant, si, comme je te l’ai dit, ou plutôt comme je n’ai pas besoin de te le dire, l’ordre des ombres et des jours pouvait être interverti ; c’est là ce dont je vais m’occuper avant de tâcher de fixer les couleurs, et ça n’est pas facile.

« Jusqu’à présent je n’ai peint que la volière, afin de pouvoir comparer entre elles les épreuves. Tu trouveras une des deux grandes et des deux petites moins colorées que les deux autres, quoique les contours des objets soient très-bien marqués ; ceci provient de ce que j’ai trop rétréci l’ouverture du carton qui couvre l’objectif. Il paraît qu’il y a des proportions dont on ne peut pas trop s’écarter ; et je n’ai peut-être pas encore trouvé la meilleure. Lorsque l’objectif est à nu, l’épreuve qu’on obtient paraît estompée, et le spectre coloré a cette apparence-là, parce que les contours des objets sont peu prononcés et semblent en quelque sorte se perdre dans le vague.

« Je souhaite, sans cependant trop l’espérer, que ces épreuves te parviennent en bon état, pour que tu sois, mon cher ami, plus à portée de juger de l’amélioration que j’ai cru obtenir[2]. »

Après avoir obtenu ces impressions lumineuses, Nicéphore Niépce songea à transformer ses plaques en planches propres à la gravure. Il espérait arriver à ce résultat en les attaquant par un acide faible, c’est-à-dire en imitant le procédé employé pour obtenir les pierres lithographiques ou les planches métalliques destinées au tirage des gravures en taille-douce. C’est ce qui résulte de la lettre suivante :

« Je présume que tu auras reçu hier, mon cher ami, ma lettre du 28 mai, laquelle contenait quatre nouvelles épreuves qui m’ont paru plus correctes que les précédentes. Je suis on ne peut plus sensible aux choses honnêtes que tu veux bien me dire à ce sujet, et, quoique je sois loin de les mériter, elles n’en sont pas moins pour moi un grand motif d’encouragement. Si je parvenais à fixer la couleur et à changer la disposition des jours et des ombres, le procédé que j’emploie maintenant, serait, je pense,

  1. V. Fouque, la Vérité sur l’invention de la photographie ; Nicéphore Niépce, etc. In-8o , Paris, 1867, p. 67-69.
  2. Fouque, ouvrage cité, p. 69-71.