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pés par les corps d’armée. Il fallait vingt minutes pour aller de ce quartier général à Kamiesch et à la Tschernaïa ; une demi-heure pour atteindre l’Égry-Adgadj. Les cavaliers d’ordonnance que l’on aurait employés pour porter ces mêmes dépêches, auraient mis quatre heures pour parvenir à ce dernier point, une demi-heure ou une heure pour arriver au premier, tout en étant exposés à l’artillerie de la place. Ainsi, le service télégraphique laissait disponible la cavalerie, qui fut toujours peu nombreuse en Crimée.

Le vocabulaire était celui d’Afrique, un peu modifié par M. Aubry, pour ces circonstances nouvelles. Comme le petit nombre d’employés ne permettait pas de placer des traducteurs dans toutes les stations, on fut quelquefois obligé de donner aux signaux la simple signification des lettres de l’alphabet.

Les communications du grand quartier général avec les principaux corps d’armée, furent établies dès les premiers jours de 1855, par MM. Aubry et Carrette. Le grand quartier général correspondait ainsi avec la maison Forey (premier corps d’armée), avec la redoute (deuxième corps d’armée) ; avec la maison d’observation (espèce d’observatoire du général en chef) ; avec Kamiesch, Balaclava et Inkermann.

Après la bataille d’Inkermann, toutes ces relations furent changées, pour suivre les mouvements du grand quartier général, Quelques heures suffisaient pour installer des postes nouveaux, et supprimer les anciens.

Le 8 septembre, le télégraphe était placé sur la redoute Victoria, et le lendemain sur la tour Malakoff.

Sans rapporter ici tous les déplacements des postes télégraphiques qui suivaient les évolutions du siége, nous dirons que pendant dix-huit mois (de janvier 1855 à juillet 1856), la maison Forey, la maison d’observation, le poste de la redoute, Kamiesch, la Tschernaïa et la vallée de Baïdar, correspondirent, sans interruption, par le télégraphe, avec le grand quartier général, et qu’il en fut de même pour les autres positions que nos troupes occupèrent. 4 500 dépêches expédiées pendant cette campagne, disent assez les services de tout genre que la télégraphie aérienne rendit aux opérations de l’armée et de la flotte, comme aux services de l’intendance militaire[1].

Les employés du télégraphe firent preuve d’un dévouement, d’une abnégation et d’un courage constants. Fonctionnaires et agents campaient sous la tente, comme nos soldats ; quelquefois ils furent forcés de coucher sur le terrain détrempé par des pluies incessantes. Malgré les rigueurs de l’hiver, les stations permanentes ne furent munies de barraques, pour mettre à couvert les stationnaires, qu’au mois de novembre 1855. Chaque poste ne renfermait qu’un employé, qui était obligé d’avoir l’œil à la lunette, pendant toute la durée du jour, c’est-à-dire pendant seize à dix-huit heures, en été. Les employés de la télégraphie partagèrent donc les privations, les souffrances et souvent les dangers auxquels étaient exposés nos soldats.

Pendant quatre mois, la station de la tour Malakoff resta à la portée des canons des forts du nord de Sébastopol. Il fallut même déplacer ce poste, trop exposé à servir de point de mire à l’artillerie de la place. Pendant la bataille de Tracktir, et le jour de l’assaut de Sébastopol, les employés du télégraphe restèrent enfermés dans leur barraque, continuant d’échanger des signaux, au milieu d’une grêle de balles.

Ici finit l’histoire de la télégraphie aérienne. Le rôle glorieux qu’elle joua dans la guerre de Crimée fut le dernier épisode de son existence. À partir de ce moment, en effet, c’est-

  1. Gerspach, ouvrage cité, p. 112.