Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 2.djvu/693

Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’action de l’anesthésie, et, sur ce nombre immense de cas, on avait eu à peine douze ou quinze malheurs à déplorer. Dans un intervalle de dix ans, Velpeau a pratiqué trois ou quatre mille fois l’éthérisation, et il n’a jamais été témoin d’un événement fatal. Ces chiffres suffisent pour dissiper les appréhensions qu’ont pu laisser dans l’esprit de nos lecteurs les tristes événements que nous avons dû mentionner.


CHAPITRE VIII

l’anesthésie locale. — expériences et observations récentes sur l’application topique d’agents d’insensibilité : l’éther et la glace. — appareils divers pour produire l’anesthésie locale. — emploi du protoxyde d’azote pour produire une anesthésie fugace applicable à l’opération de l’extraction des dents. — conclusion.

Pour produire l’anesthésie, ou l’insensibilité générale, on n’a que l’embarras du choix entre une foule d’agents, qui ont été plus ou moins éprouvés par un fréquent usage. Mais l’inhalation de substances gazeuses entraîne souvent des inconvénients ou des dangers, dont le plus évident est la possibilité de l’asphyxie. Le chloroforme, l’éther, l’amylène, employés pour produire l’insensibilité générale par l’inhalation pulmonaire, ont, dans bien des cas, occasionné la mort, sans que la science ait jamais pu fournir un seul moyen de prévenir ou de conjurer cette issue. Les chances de mort sont, il est vrai, numériquement très-faibles, mais elles existent toujours, et il faut compter avec elles.

Sans dire avec un chirurgien contemporain (M. Sédillot) que, quand on administre un anesthésique, « la question de mort est posée, » on peut pourtant affirmer que l’on n’est jamais certain d’avance, que l’administration de la substance anesthésique sera inoffensive. Le danger plane sur chaque opération ; il laisse le chirurgien et le malade en proie à des préoccupations secrètes, qui sont une condition très-fâcheuse pour le succès du traitement.

C’est en raison de ces légitimes craintes, que l’on a cherché depuis longtemps à produire l’insensibilité par un mode moins énergique et moins redoutable, en d’autres termes, que l’on a cherché à réaliser l’anesthésie locale.

Le chloroforme employé en frictions sur les parties malades, a fourni quelquefois de bons résultats, pour combattre les douleurs internes, dans les affections rhumatismales et dans quelques états analogues. Ce mode d’emploi des substances anesthésiques, a donné l’idée d’en tirer parti pour les opérations chirurgicales, et l’on a essayé, à l’aide de frictions avec le chloroforme, d’engourdir exclusivement la partie destinée à subir une opération douloureuse, sans faire participer l’économie entière à l’état grave et pénible dans lequel on est forcé de la placer par la méthode ordinaire.

On comprend tous les avantages, toute l’importance de cette nouvelle application de l’anesthésie. Si l’on parvenait à rendre isolément insensible la partie du corps sur laquelle l’opération doit être pratiquée, on échapperait aux difficultés et aux dangers auxquels on s’expose par les procédés suivis aujourd’hui. L’individu resterait tout entier maître de sa volonté et de sa raison ; il pourrait se prêter aux mouvements et aux manœuvres du chirurgien ; il ne serait plus comme un cadavre entre les mains de l’opérateur. Ainsi la sûreté de l’opération, la confiance du chirurgien, et aussi la dignité humaine, gagneraient à cette modification heureuse. On étendrait en même temps l’application de l’anesthésie à bien des cas où elle ne peut être mise en œuvre. On sait que la plupart des opérations qui se pratiquent vers la bouche ou du côté des voies aériennes, par exemple, ne peuvent être faites avec le chloroforme ou l’éther, parce que l’on redoute avec raison que le sang ne pénètre dans les voies aériennes et ne provoque l’asphyxie. Il est encore