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lorsque l’Académie de médecine reçut la communication du fait de Boulogne. Nous n’avons signalé ce fait que d’une manière sommaire ; c’est ici le lieu de le faire connaître avec plus de détails.

Mademoiselle Stock, âgée de trente ans, grande et bien constituée, avait été, en tombant de voiture, légèrement blessée à la cuisse par un fragment de bois qui n’avait produit qu’une petite déchirure à la peau. Il se forma bientôt en ce point, un petit abcès qui vint à suppuration ; on jugea nécessaire d’inciser la peau, et le docteur Gorré fut appelé pour cette petite opération. Mademoiselle Stock désira être endormie par le chloroforme ; M. Gorré revint donc le lendemain, 26 mai, muni d’un flacon de ce liquide. La malade était gaie et exempte de toute préoccupation ; son médecin ordinaire et une sage-femme assistaient à l’opération.

« Je plaçai, dit le docteur Gorré, sous les narines de la malade, un mouchoir sur lequel avaient été jetées quinze à vingt gouttes au plus de chloroforme. À peine a-t-elle fait quelques inspirations qu’elle porte la main sur le mouchoir pour l’écarter et s’écrie d’une voix plaintive : J’étouffe. Puis tout aussitôt le visage pâlit, les traits s’altèrent, la respiration s’embarrasse, l’écume vient aux lèvres. À l’instant même (et cela très-certainement moins d’une minute après le début de l’inhalation), le mouchoir aspergé de chloroforme est retiré. Mais persuadé que les accidents ne sont que passagers et qu’il va suffire, pour que l’effet cesse, d’avoir supprimé la cause, je m’empresse de glisser par la petite plaie fistuleuse qui existe à la cuisse une sonde cannelée sur laquelle j’incise le décollement jusqu’à ses limites, c’est-à-dire dans une étendue de 6 à 7 centimètres, et je retire du fond de cette plaie un petit fragment de bois mince et pointu.

« Durant le temps infiniment court, que prend cette petite opération, mon confrère cherche par tous les moyens à remédier à cette annihilation imminente de la vie. Je me joins à lui, et tous deux nous mettons en œuvre avec activité, les mesures les plus propres à conjurer une issue fatale. Frictions sur les tempes, sur la région précordiale, projection d’eau fraîche sur le visage, titillation de l’arrière-bouche avec les barbes d’une plume, insufflation de l’air dans les voies aériennes, ammoniaque sous les narines, tout ce qu’il est possible de faire en pareil cas, est tenté par mon confrère et par moi pendant deux heures. Tout fut inutile ; la malade était morte. »

Fig. 352. — Malgaigne.

Mentionnons encore un fait du même genre observé à Paris, dans le service de Robert.

Pendant les journées de juin 1848, un Alsacien, âgé de vingt-quatre ans, nommé Daniel Schlyg, avait eu la cuisse fracassée par une balle, avec une telle dilacération des parties molles, que Robert jugea tout de suite indispensable, la désarticulation du membre ; mais l’état de prostration du malade ne permettait pas de la pratiquer immédiatement. Deux jours après, la cuisse était très-tuméfiée, les douleurs très-vives, le pouls petit et sans résistance, le moral plus abattu que jamais par un sombre désespoir. Toutes les conditions étaient donc défavorables pour l’amputation ; mais le malade la réclamait, et Robert s’y décida. On lui fit respirer du chloroforme : au bout de trois à quatre minutes, il éprouva quelques légères convulsions, et bientôt après il tomba dans un état de collapsus complet. Le chirurgien