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« Tels sont les principaux faits qui me sont propres et que j’ai pu étudier dans le courant de cette dernière semaine. J’ajouterai qu’une foule de médecins et d’élèves se sont maintenant soumis aux inhalations éthérées, afin d’en mieux apprécier les effets.

Fig. 344. — Velpeau.


Quelques-uns d’entre eux s’y soumettent plutôt avec plaisir qu’avec répugnance : or, tous arrivent plus ou moins promptement à perdre la sensibilité. Il en est quelques-uns, deux entre autres, qui en sont venus, par des exercices répétés, à pouvoir indiquer toutes les phases du phénomène, dire où il convient de les piquer, de les pincer, ce qu’ils sentent, ce qu’ils ne sentent pas. Bien plus, chose étrange et à peine croyable, ils sont arrivés, en perdant leur sensibilité tactile, à conserver si bien les autres facultés intellectuelles, qu’ils peuvent se pincer, se piquer, et en quelque sorte se disséquer eux-mêmes, sans se causer de douleur, sans se faire souffrir.

« On le voit, il n’y a plus moyen d’en douter : la question des inhalations de l’éther va prendre des proportions tout à fait imprévues. Le fait qu’elle renferme est un des plus importants qui se soient vus, un fait dont il n’est déjà plus possible de calculer la portée, qui est de nature à impressionner, à remuer profondément, non-seulement la chirurgie, mais encore la physiologie, la chimie, voire même la psychologie. Voyez cet homme qui entend les coups de bistouri qu’on lui donne, et qui ne les sent pas ; remarquez cet autre qui se laisse couper ou une jambe ou une main, sans s’en apercevoir, et qui, pendant qu’on l’opère, s’imagine jouer au billard ou se quereller avec des camarades ! Voyez-en un troisième qui reste dans un état de béatitude, de contentement, qui se trouve très à son aise pendant qu’on lui morcelle les chairs ! Voyez, enfin, ce jeune homme qui conserve tous ses sens, assez du moins pour s’armer d’une pince et d’un bistouri, et venir porter le couteau sur ses propres organes ! N’y a-t-il pas là de quoi frapper, éblouir l’homme intelligent, par tous les côtés à la fois, de quoi bouleverser l’imagination du savant le plus impassible ?

« Il n’y a plus maintenant d’opération chirurgicale, quelque grande qu’elle soit, qui n’ait profité des bienfaits de cette magnifique découverte. La taille, cette opération si redoutable et si redoutée, vient d’être pratiquée sans que le malade s’en soit aperçu. Il en a été de même de l’opération de la hernie étranglée. Une malheureuse femme, dans le travail de l’enfantement ne peut accoucher seule : l’intervention du forceps est réclamée, l’inhalation de l’éther est mise en jeu, et l’accoucheur délivre la malade sans lui causer de souffrances, sans qu’elle s’en aperçoive.

« Si la flaccidité du système musculaire venait à se généraliser sous l’influence des inspirations éthérées, qui ne voit le parti qu’on pourrait tirer de ce moyen, quand il s’agit d’aller chercher au sein de l’utérus l’enfant qu’il faut extraire artificiellement ? C’est qu’en effet, dans cette opération, les obstacles, les difficultés, les dangers, viennent presque tous des violentes contractions de la matrice.

« De ce que j’ai vu jusqu’à présent, de l’examen sérieux des faits il résulte que l’inhalation de l’éther va devenir la source d’un nombre infini d’applications, d’une fécondité tout à fait inattendue, une mine des plus riches, où toutes les branches de la médecine ne tarderont pas à puiser à pleines mains. Elle sera le point de départ de notions si variées et d’une valeur si grande, à quelque point de vue qu’on les envisage, qu’il m’a paru nécessaire d’en saisir, dès à présent, l’Académie des sciences, et que je me demande si l’auteur d’une si remarquable découverte ne devrait pas être bientôt lui-même l’objet de quelque attention dans le sein des sociétés savantes[1]. »

Après de tels faits, après de si étonnants résultats, il n’y avait plus de doutes à conserver ; l’emploi de l’éther fut introduit dès ce moment dans tous les hôpitaux de la capitale. Les appareils d’inhalation se perfectionnèrent rapidement ; les mémoires s’entassèrent sur les bureaux des sociétés savantes ; une véri-

  1. Comptes rendus de l’Académie des sciences, 1er février 1847.