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M. Babinet a appuyé, dans des articles de journaux et dans de petites préfaces, la nouvelle école qui a déclaré la guerre aux aérostats, qui proclame que le ballon à gaz est le grand obstacle à la navigation aérienne, et appelle l’invention des frères Montgolfier, « une découverte sublime et détestable[1]. » Mais M. Babinet n’a jamais présenté, en faveur de la nouvelle théorie, aucun argument scientifique, et l’on ne peut se contenter, en pareille matière, d’une adhésion qui se produit sous la forme pure et simple d’une profession de foi. On nous permettra donc de formuler les doutes qui s’élèvent dans notre esprit, contre la valeur du système du plus lourd que l’air.

Et d’abord n’y a-t-il pas une prétention bien téméraire à rejeter loin de soi, de gaieté de cœur, l’aérostat, qui, sans aucune force mécanique, et par le seul fait qu’il contient un gaz plus léger que l’air, donne la condition fondamentale, l’avantage essentiel, de nous emporter dans les airs ? N’y a-t-il pas une singulière aberration à rejeter du pied ce secret, que tant de siècles avaient inutilement cherché, c’est-à-dire la possibilité d’élever dans les airs un corps pesant, de telle sorte qu’il ne reste plus à chercher que les moyens de régulariser et de diriger le corps flottant ? Un aérostat permet de monter à plusieurs kilomètres dans l’air, et de s’y maintenir un temps considérable, sans qu’il soit nécessaire de tourner une roue ou de bander un ressort. Évidemment il faut y regarder beaucoup, avant de se dépouiller d’un tel avantage, avant de tuer pareille poule aux œufs d’or.

Quel est cependant l’agent mécanique que l’on entend substituer à la force ascensionnelle d’un aérostat, force qui, nous le répétons, ne coûte rien pour sa production, et ne demande pas davantage pour son entretien ? Cet agent c’est l’hélice. Mais l’hélice est-elle capable d’accomplir de telles merveilles ? C’est ce qu’il faut examiner.

Quand on applique à la navigation aérienne proprement dite les données prises à la surface ou à une faible distance du sol, on s’expose à un grave mécompte. À la hauteur de 5 kilomètres et demi, l’air a perdu la moitié de sa densité, la moitié de sa masse ; par conséquent, la réaction que l’hélice doit en recevoir devient moitié moindre, et l’appareil placé à cette hauteur doit développer une puissance deux fois plus forte qu’à une faible élévation au-dessus du sol. C’est là un écueil qui mérite d’être pris en considération sérieuse. Si, pour l’éviter, on veut se maintenir dans une région peu élevée, si l’on veut rester à proximité du sol, on renonce au précieux avantage d’aller chercher dans les régions supérieures de l’atmosphère, un vent plus favorable que celui qui règne à la surface de la terre.

Quant à lutter contre les courants atmosphériques, ce problème soulève, il nous semble, des difficultés insurmontables. Il est connu que l’effort qu’une bonne brise exerce sur la grande voile d’un navire, est l’équivalent de la force de cinq cents chevaux-vapeur. Or, l’aéronef, avec sa cargaison et avec ses ailettes verticales, offrira toujours une assez grande surface au souffle des vents ; la résistance qui naîtra de l’action des vents contraires, sera plus terrible, selon nous, que la pesanteur du système. Les oiseaux, ces machines naturelles qui réalisent le plus grand effort sous le moindre volume, n’essayent même pas de lutter contre l’impulsion d’un vent trop fort ; ils s’arrêtent, replient leurs ailes, ou, s’ils résistent, ils ne tardent pas à tomber épuisés.

Autre remarque. Je comprends l’action puissante de l’hélice appliquée à un navire, je la comprends moins employée dans l’air. En effet, un navire est une machine déjà équilibrée, et qui flotte sur l’élément liquide, en vertu de sa légèreté spécifique ; l’hélice,

  1. Nadar, Le droit au vol, page 3.