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Ce projet n’était rien moins que la suppression des ballons et l’emploi d’une hélice pour s’élever et se diriger dans l’air, sans aucun autre moyen de s’y tenir en équilibre.

Depuis l’année 1784, les inventeurs s’évertuent à perfectionner l’aérostat, dans le but de le rendre dirigeable, et tous ces essais, qui remontent jusqu’aux Montgolfier, sont restés infructueux. On a tour à tour voulu reproduire le mode de progression du poisson dans l’eau et celui de l’oiseau dans les airs ; on a pris l’organisation de ces êtres pour modèles de divers navires aériens. Mais toujours on a été forcé de reconnaître que la nature emploie des moyens bien autrement puissants que ceux dont nos ingénieurs peuvent disposer. M. Nadar se proposait d’arrêter net ce débat, presque séculaire. Il voulait mettre tout le monde d’accord, en supprimant purement et simplement le ballon, qui lui semble gêner les mouvements d’un navire aérien, tout comme un boulet, attaché à la jambe d’un homme, paralyse ses efforts. M. Nadar a fait, avec esprit, dans les Mémoires du Géant le procès de cette machine volante. L’aérostat, pour lui, n’est qu’un monstre aveugle, impossible à gouverner, qui vous domine, au lieu de se laisser dominer par vous, qui va où le vent et Dieu le poussent, qui tombe où l’air et les circonstances le jettent.

Il y aurait beaucoup à dire contre cette proscription d’un engin admirable qui porte en lui le secret, vainement cherché pendant vingt siècles, par une foule de bons esprits : la merveilleuse faculté d’élever des poids quelconques à de prodigieuses hauteurs. Mais n’anticipons pas ; il ne s’agit ici que d’exposer les faits, et non de formuler des critiques.

M. Nadar voulait donc supprimer le ballon. Par quoi le remplaçait-il ? Par l’hélice, « la sainte hélice, » comme il l’a dit, et comme on l’a répété tant de fois.

L’emploi de l’hélice dans la navigation à vapeur, est basé sur l’inertie de l’eau, qui, avant de se déplacer, offre un point d’appui à un levier quelconque, et qui fournit, par conséquent, ce point d’appui au levier tournant qu’on appelle vis ou hélice, à l’égard de laquelle l’eau joue alors le rôle d’écrou. L’hélice, essayée dès 1687 par le mécanicien Duquet, et en 1777 par l’Américain David Bushnell, qui l’appliqua à la propulsion d’un bateau plongeur, fait des merveilles dans l’eau, depuis qu’on lui a donné pour moteur la machine à vapeur ; elle fera également des merveilles au sein de l’air, disaient les partisans du nouveau procédé de locomotion aérienne de MM. Ponton d’Amécourt et de la Landelle.

Revenons à M. Nadar. Le zélé défenseur du système de MM. Ponton d’Amécourt et de La Landelle, avait donc préconisé, devant son auditoire du boulevard des Capucines, et dans son manifeste imprimé dans la Presse, l’auto-locomotion aérienne par l’hélice.

On ne pouvait qu’applaudir à une tentative si digne d’intérêt. Mais quelle ne fut pas la surprise générale, quand on apprit que ce même aérostat, dont M. Nadar avait fait ressortir, avec tant de vivacité, les vices et les dangers, au point de vue de la navigation aérienne, que cet aérostat, honni, vilipendé, comme machine scientifique, condamné par la raison et le bon sens des nouveaux apôtres de l’aviation, était précisément l’appareil auquel il faisait un public et bruyant appel ; que c’était là l’échelle qu’il entendait prendre pour atteindre le but qu’il s’était proposé !

En effet deux mois après sa déclaration de guerre contre les aérostats, M. Nadar annonçait des ascensions publiques en plein Champ-de-Mars, dans un aérostat ordinaire. L’homme d’esprit et l’artiste ne sont que contradiction !

De sa résolution M. Nadar a donné l’explication suivante. Pour arriver à construire un bateau aérien à hélice, il faut le nerf de la guerre, qui est aussi le nerf des aérostats, nervus rerum : il faut de l’argent. Une compagnie d’ac-