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Tout à coup, le gentleman tire un couteau de sa poche, et, tranquillement, il se met en devoir de couper l’une des cordes qui soutiennent la nacelle.

Green s’était embarqué avec un fou.

Il saisit aussitôt la main de l’individu, s’empare du couteau, et le jette. Mais notre homme, tenace dans sa résolution, se dresse au bord de la nacelle, et s’apprête à faire dans le vide, un suprême plongeon.

Si notre fou eût exécuté son dessein, Green était perdu ; car le ballon, subitement délesté d’un grand poids, l’eût entraîné avec une rapidité effrayante, vers les plus hautes régions de l’air, où il eût trouvé la mort. Sa présence d’esprit le tira de ce péril. Sans se déconcerter, sans laisser paraître aucune émotion, il dit à son terrible compagnon de route :

« Vous voulez sauter, c’est bien ; je veux en faire autant, et comme vous, me précipiter dans l’espace. Mais nous sommes encore trop bas ; il faut nous élever plus haut, afin de mieux jouir d’une aussi belle chute. Laissez-moi faire, je vais accélérer notre ascension. »

Aussitôt, Green saisit la corde de la soupape, et la tire, d’un effort désespéré. Au lieu de monter, l’aérostat se vide, et ils descendent à grande vitesse. Dans cet intervalle, les idées du gentleman avaient sans doute pris une tournure moins funèbre, car, arrivé en bas, il sauta de la nacelle, sans dire un mot, et comme si rien ne s’était passé. Depuis ce jour, M. Green, avant de s’embarquer avec un inconnu, trouva prudent d’avoir avec lui quelques instants de sérieux entretien.


CHAPITRE XIV

les ascensions aérostatiques célèbres. — un voyage de nuit en ballon. — green parcourt en ballon la distance de l’angleterre au duché de nassau. — voyage de belgique fait, en 1850, par l’aérostat la ville de paris, monté par les frères godard. — le géant. — m. nadar et le système du plus lourd que l’air. — premier voyage du géant. — descente à meaux. — deuxième voyage du géant ; catastrophe du hanovre. — autres ascensions du géant en belgique en 1864 et à paris en 1867.

Le même aéronaute Green, dont nous venons de raconter l’étrange aventure avec un échappé de Bedlam, est célèbre dans l’histoire de l’aérostation, non-seulement par les mille ascensions qu’on lui attribue, mais parce qu’il fit, en 1836, le voyage aérien le plus long qui ait jamais été exécuté. Il se transporta de Londres à Weilberg, dans le duché de Nassau, et passa toute une nuit, perdu dans les airs.

L’aérostat qui servit à ce voyage mémorable, était un des plus grands que l’on eût encore vus : il cubait 2 500 mètres. Parti de Londres, le 7 novembre 1836, M. Green avait pour compagnons de voyage, MM. Holland et Monk-Mason. Ne sachant en quel pays le vent les porterait, ils s’étaient munis de passe-ports pour tous les États de l’Europe, et d’une bonne provision de vivres.

Le ballon s’éleva majestueusement à une heure et demie ; et entraîné par un vent faible du nord-ouest, il se dirigea au sud-est, sur les plaines du comté de Kent. À 4 heures, la mer se montra à nos voyageurs aériens, toute resplendissante des feux du soleil couchant.

Cependant le vent vint à changer presque subitement, et à tourner au nord ; de sorte que le ballon était poussé au-dessus de la mer d’Allemagne, et cela à la tombée de la nuit. M. Green jugea prudent d’aller chercher un courant d’air d’une direction plus favorable : il jeta une partie de son lest, et s’éleva ainsi dans une région supérieure, où il trouva un courant atmosphérique, qui, les