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population de Trieste, rassemblée autour de la caserne, stupéfaite de tant d’audace, et admirant cet homme intrépide, ou plutôt cet homme de cœur, qui donnait sa vie pour ne pas manquer à sa parole.

On le suivit longtemps des yeux ; puis on le perdit de vue dans les nuages. Seulement, le vent avait changé, et l’on voyait très-bien que le ballon planait au-dessus de l’Adriatique. Aussitôt, un grand nombre de barques et de canots sortirent du port, suivant la direction qu’avait prise l’aérostat. Mais la nuit arriva, et il fallut revenir, sans rapporter aucun renseignement sur le sort du malheureux aéronaute. Sa femme, désespérée, passa toute la nuit à l’attendre, à l’extrémité du môle.

Voici comment se termina cette tragique aventure. Toujours accroché aux cordages de l’aérostat, Arban flotta, pendant deux heures, au milieu des nuages, par-dessus l’Adriatique. Mais peu à peu, le ballon se dégonfla et descendit lentement. À 8 heures du soir, il rasait la surface des flots ; quelquefois même, il venait reposer sur l’eau. La masse d’étoffe légère qui composait le ballon, et le peu de gaz qu’il conservait encore, lui permettaient de se soutenir sur l’eau. Jusqu’à 11 heures du soir, l’infortuné aéronaute lutta, autant que ses forces le lui permettaient, pour se défendre contre les vagues. Par intervalles, le ballon se relevait, et poussé par le vent, glissait à la surface de l’eau. Le malheureux Arban était ainsi constamment ballotté entre la vie et la mort. Il se trouvait à deux kilomètres de Trao, sur la côte d’Italie.

Cette lutte épouvantable ne pouvait durer longtemps. Les forces du malheureux naufragé étaient à bout, quand il fut aperçu par deux pêcheurs, François Salvagno, de Chioga, et son fils, partis tous les deux pour pêcher dans les eaux de Trao. Ils firent force de rames pour arriver jusqu’à l’aéronaute, que ses efforts désespérés défendaient seuls encore contre une mort imminente. Ils le recueillirent dans leur barque.

Le lendemain, à 6 heures du matin, les deux pêcheurs entraient à Trieste, amenant dans leur barque, l’aéronaute miraculeusement sauvé, ainsi que les débris de sa machine. Il en fut quitte pour quelques jours de fièvre[1].

Les fastes de l’aérostation conservent le souvenir d’un événement, très-singulier, qui se passa à Nantes, en 1845. Il s’agit encore d’un héros, mais d’un héros malgré lui.

Un aéronaute de profession, nommé Kirsch, exécutait une ascension dans la ville de Nantes, en présence d’une foule considérable, qui se pressait aux environs de la promenade de la Fosse. Le ballon était gonflé et prêt à partir, lorsqu’une des cordes qui le retenaient fixé à un mât, vint à se rompre, et le ballon s’emporte, traînant après lui la nacelle, que l’on n’avait eu que le temps d’attacher par un seul bout. La nacelle se terminait par une ancre de fer, pendue au bout d’une corde.

Voilà donc l’aérostat, qui, poussé par le vent, et élevé seulement d’une trentaine de mètres au-dessus du sol, est traîné sur la place, qu’il balaye, en laissant pendre du haut en bas, d’abord la nacelle, puis l’ancre qui la termine, et qui rase le sol.

En ce moment, un jeune garçon de douze ans, nommé Guérin, apprenti charron, était tranquillement assis, avec ses camarades au bord d’une fenêtre, paisible spectateur de l’ascension. L’ancre du ballon accroche le bas du pantalon de l’apprenti, le déchire jusqu’à la hanche, et le saisissant par la ceinture, fait perdre terre au malheureux jeune homme, qu’elle entraîne dans les airs.

Ce fut à la consternation générale, que l’on

  1. Pareil événement est arrivé, au mois de janvier 1867, à Marseille, à madame Poitevin, veuve de l’aéronaute de ce nom. Dans une ascension faite au Prado, le vent la poussa vers la mer. Au bout de deux heures, l’aérostat s’étant dégonflé, le ballon tombait dans la Méditerranée. Heureusement, un bateau à vapeur était sorti du port, dès que l’on avait vu la direction dangereuse que prenait l’aérostat. On recueillit madame Poitevin sur le pont du bateau, au moment où le ballon allait entrer dans l’eau.