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tion, il était impossible de songer à tirer parti de l’appareil de direction. Les aéronautes arrachèrent le gouvernail et jetèrent au loin les rames.

La machine continuant d’éprouver des oscillations de plus en plus violentes, ils résolurent, pour s’alléger, de se débarrasser du petit globe contenu dans l’intérieur de l’aérostat. On coupa les cordes qui le retenaient ; le petit globe tomba, mais il fut impossible de le tirer au dehors. Il était tombé si malheureusement, qu’il était venu s’appliquer juste sur l’orifice de l’aérostat, dont il fermait complètement l’ouverture.

Dans ce moment, un coup de vent parti de la terre les lança vers les régions supérieures, les nuages furent dépassés, et l’on aperçut le soleil ; mais la chaleur de ses rayons et la raréfaction considérable de l’air dans ces régions élevées ne tardèrent pas à occasionner une grande dilatation du gaz. Les parois du ballon étaient fortement tendues, et son ouverture inférieure, si malheureusement fermée par l’interposition du petit globe, empêchait le gaz dilaté de trouver, comme à l’ordinaire, une libre issue par l’orifice inférieur. Les parois étaient gonflées au point d’éclater sous la pression du gaz.

Les aéronautes, debout dans la nacelle, prirent de longs bâtons, et essayèrent de soulever le petit globe qui obstruait l’orifice de l’aérostat ; mais l’extrême dilatation du gaz le tenait si fortement appliqué, qu’aucune force ne put vaincre cette résistance. Pendant ce temps, ils continuaient de monter, et le baromètre indiquait que l’on était parvenu à la hauteur de 4 800 mètres.

Dans ce moment critique, le duc de Chartres prit un parti désespéré : il saisit un des drapeaux qui ornaient la nacelle, et avec le bois de la lance il troua en deux endroits l’étoffe du ballon ; il se fit une ouverture de 2 ou 3 mètres, le ballon descendit aussitôt avec une vitesse effrayante, et la terre reparut aux yeux des voyageurs. Heureusement, quand on arriva dans une atmosphère plus dense, la rapidité de la chute se ralentit et finit par devenir très-modérée. Les aéronautes commençaient à se rassurer, lorsqu’ils reconnurent qu’ils étaient près de tomber dans un étang ; ils jetèrent à l’instant soixante livres de lest, et à l’aide de quelques manœuvres ils réussirent à aborder sur la terre, à quelque distance de l’étang de la Garenne, dans le parc de Meudon.

Toute cette expédition avait duré à peine quelques minutes. Le petit globe rempli d’air était sorti à travers l’ouverture de l’aérostat, il tomba dans l’étang ; il fallut le retirer avec des cordes.

Les ennemis du duc de Chartres ne manquèrent pas de mettre le dénoûment de cette aventure sur le compte de sa poltronnerie, Dans son Histoire de la conjuration de Louis d’Orléans, surnommé Philippe-Égalité, Montjoie, faisant allusion au combat d’Ouessant, dit que le duc de Chartres avait ainsi rendu « les trois éléments témoins de la lâcheté qui lui était naturelle. » On fit pleuvoir sur lui des sarcasmes et des quolibets sans fin. On répéta ce propos que madame de Vergennes avait tenu avant l’ascension, que « apparemment M. le duc de Chartres voulait se mettre au-dessus de ses affaires. » On le chansonna dans des vaudevilles, on le tourna en ridicule dans des vers satiriques.

Voici quelques-uns de ces vers méchants, qui sont aussi de méchants vers.

Chartres ne se voulait élever qu’un instant ;
Loin du prudent Genlis il espérait le faire.
Mais, par malheur pour lui, la grêle et le tonnerre
Retraçant à ses yeux le combat d’Ouessant,
Le prince effrayé dit : « Qu’on me remette à terre,
J’aime mieux n’être rien sur aucun élément. »

On disait encore du duc de Chartres :

Il peut aller dorénavant,
Tête levée et nez au vent ;
Il est, les preuves en sont claires,
Fort au-dessus de ses affaires.
Eh ! oui, ce grand prince, aujourd’hui,
Doit être bien content de lui.