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d’enceinte, entre la barrière d’Enfer et la barrière d’Italie.

Le marquis d’Arlandes, trouvant que l’expérience était complète, et pensant qu’il était inutile d’aller plus loin dans un premier essai, cria à son compagnon : « Pied à terre ! »

Ils cessèrent le feu, la machine s’abattit lentement, et se reposa sur la Butte aux Cailles, entre le Moulin vieux et le Moulin des merveilles.

En touchant la terre, le ballon s’affaissa presque entièrement sur lui-même. Le marquis d’Arlandes sauta hors de la galerie ; mais Pilâtre de Rozier s’embarrassa dans les toiles, et demeura quelque temps comme enseveli sous les plis de la machine qui s’était abattue de son côté. Était-ce là un présage et comme un avertissement de la fin sinistre qui l’attendait plus tard ?

La machine fut repliée, mise dans une voiture et ramenée dans les ateliers du faubourg Saint-Antoine. Les voyageurs n’avaient ressenti durant le trajet aérien aucune impression pénible ; ils étaient tout entiers à l’orgueil et à la joie de leur triomphe. Le marquis d’Arlandes monta aussitôt à cheval et vint rejoindre ses amis au château de la Muette. On l’accueillit avec des pleurs de joie et d’ivresse.

Parmi les personnes qui avaient assisté aux préparatifs du voyage, on remarquait Benjamin Franklin : on aurait dit que le Nouveau-Monde avait envoyé le grand homme pour assister à cet événement mémorable. C’est à cette occasion que Franklin prononça un mot souvent répété. On disait devant lui : « À quoi peuvent servir les ballons ? — À quoi peut servir l’enfant qui vient de naître ? » répliqua le philosophe américain.

Le publiciste Linguet, avant de raconter dans les Annales politiques du xviiie siècle, l’ascension de Pilâtre de Rozier et du marquis d’Arlandes, disait :

« S’il existait du premier voyage de Christophe Colomb un journal de la main de cet intrépide navigateur, avec quel respect il serait conservé ! avec quelle confiance il serait cité ! Comme on aimerait à le suivre dans le compte ingénu qu’il rendrait de ses pensées, de ses espérances, de ses craintes, des murmures de ses équipages, de ses tentatives pour les calmer, et enfin, de sa joie au moment qui, dégageant sa parole et justifiant son audace, le déclara le créateur, en quelque sorte, d’un nouveau monde ! Tous ces détails nous ont été transmis, mais par des mains étrangères : quelque intéressants qu’ils soient encore, on ne peut se dissimuler que cette circonstance leur fait perdre quelque chose de leur prix. »

La navigation aérienne n’aura pas ce désavantage. Le marquis d’Arlandes a écrit un récit de ce premier voyage aérien, et on ne lira pas sans intérêt ces pages familières où revit si bien l’esprit enjoué et aventureux qui caractérisait le gentilhomme français de la fin du siècle dernier.

« m. le marquis d’arlandes à m. faujas de saint-fond.
Paris, le 28 novembre 1783.

Vous le voulez, mon cher Faujas, et je me rends d’autant plus volontiers à vos désirs que par les questions que l’on m’adresse, par les propos invraisemblables que l’on fait tenir à M. Pilâtre et à moi, je sens qu’il est essentiel de fixer l’opinion publique sur les détails de notre voyage aérien.

Je vais décrire le mieux que je pourrai le premier voyage que des hommes aient tenté à travers un élément qui, jusqu’à la découverte de MM. Montgolfier, semblait si imparfait pour les supporter.

Nous sommes partis du jardin de la Muette à une heure cinquante-quatre minutes. La situation de la machine était telle, que M. Pilâtre de Rozier était à l’ouest et moi à l’est ; l’aire du vent était à peu près nord-ouest. La machine, dit le public, s’est élevée avec majesté ; mais il me semble que peu de personnes se sont aperçues qu’au moment où elle a dépassé les charmilles, elle a fait un demi-tour sur elle-même ; par ce changement, M. Pilâtre s’est trouvé en avant de notre direction, et moi, par conséquent, en arrière.

Je crois qu’il est à remarquer, que dès ce moment jusqu’à celui où nous sommes arrivés, nous avons conservé la même position par rapport à la ligne que nous avons parcourue. J’étais surpris du silence et du peu de mouvement que notre départ avait occasionnés parmi les spectateurs ; je crus qu’étonnés, et peut-être effrayés de ce nouveau spectacle, ils avaient besoin d’être rassurés. Je saluai du bras avec assez peu de succès ; mais ayant tiré mon mouchoir, je l’agitai, et je m’aperçus alors d’un grand mouvement dans le jardin de la Muette. Il m’a semblé que les spectateurs qui étaient épars dans cette enceinte, se