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1839, notre Académie royale donna, avec un grand succès, la première représentation d’un opéra en trois actes, la Vendetta, de M. de Ruolz, qui, chanté par Duprez, Levasseur, Massol, mesdames Stolz et Dorus, obtint un brillant succès.

Cependant, M. de Ruolz comprit bientôt qu’il n’était pas assez riche pour avoir d’autres succès au théâtre. Si les travaux de compositeur lui promettaient la gloire, ils ne lui assuraient pas la fortune, et malheureusement il en était à ce point qu’avant tout il devait songer à vivre. Il se décida donc à changer de carrière.

M. de Ruolz, comme nous l’avons dit, avait eu une jeunesse studieuse. Dans les laboratoires, il avait étudié la physique et la chimie ; dans les écoles, il avait pris ses grades de médecin et d’avocat. Il espéra trouver dans ses connaissances scientifiques le moyen de relever l’édifice ruiné de sa fortune. Il y a de par le monde une opinion fort répandue, mais très-hasardée, c’est qu’un savant peut s’enrichir sans peine en se livrant à la chimie industrielle. C’est dans cette voie que M. de Ruolz résolut de s’engager. Un fabricant de ses amis, nommé Chappée, l’établit dans sa maison, et le chargea de perfectionner certains procédés de teinture.

Chappée avait un frère joaillier dans la rue Saint-Denis. Or, ce joaillier arriva un jour, chez M. de Ruolz, portant sous son bras un paquet d’ouvrages en filigrane d’argent.

On appelle filigrane, dans le commerce de la bijouterie, ces petits objets de décoration, d’argent ou de cuivre, fabriqués à l’estampage, et qui, selon la mode du jour, ornent les étagères et les cheminées des salons. Le joaillier demanda à M. de Ruolz s’il ne pourrait parvenir à dorer ce filigrane par un procédé nouveau, la dorure au mercure ne pouvant s’appliquer à ces sortes de pièces, à cause de leurs anfractuosités et du caprice de leur dessin : l’industriel ajoutait qu’il y aurait là de l’argent à gagner.

La question avait cependant beaucoup plus d’importance que ne le pensait le joaillier de la rue Saint-Denis. Si l’on parvenait à dorer le filigrane d’argent, on pouvait évidemment dorer l’argent sous toutes ses formes ; si l’on dorait l’argent, on pouvait espérer aussi dorer le cuivre et la plupart des autres métaux ; et si l’on réussissait à obtenir ainsi à volonté un dépôt d’or à la surface de tous les objets métalliques, sans recourir au procédé ordinaire de la dorure au mercure, on devait créer une branche d’industrie toute nouvelle, jusque-là sans exemple et sans analogue dans les arts. En même temps, on débarrassait les ateliers de cette dangereuse et funeste pratique de la dorure au mercure. Il y avait donc là tout à la fois une découverte scientifique, une occasion de fortune et une œuvre d’humanité.

Déjà un grand nombre de savants, tous ceux dont nous avons cité les noms dans le chapitre qui précède, s’adonnaient avec ardeur à la poursuite du problème de la dorure voltaïque : M. de Ruolz résolut d’entrer en lutte avec eux.

Pour un chimiste de fraîche date, l’occasion était, en effet, magnifique. Il ne s’agissait ici ni de grands principes à découvrir, ni de combinaisons nouvelles à produire, ni d’appareils coûteux à installer. Il suffisait, en se guidant sur des principes parfaitement connus, et en s’inspirant des découvertes déjà faites, de chercher, au milieu de la série des composés chimiques en usage dans les laboratoires, ceux qui obéiraient le mieux à l’action décomposante de la pile, ceux qui présenteraient les conditions les plus avantageuses pour l’opération industrielle de la précipitation des métaux. C’était une œuvre de patience et de sagacité plutôt qu’un travail de haute portée scientifique.

Seulement il fallait se hâter, car cette question fixait en ce moment toute l’attention des chimistes et des industriels : sous peine d’être devancé, il fallait se mettre tout de suite à