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struire en grand plusieurs machines nécessaires pour cette opération ; j’en ai fait établir une à Belleville, deux autres allaient être terminées et placées, lorsque j’ai appris qu’un attroupement d’une partie des habitants de la commune de Belleville et des environs avaient brisé et détruit tous ces préparatifs, croyant qu’ils étaient destinés à servir les projets de nos ennemis ; ils menacent dans ce moment mes jours, ainsi que ceux d’un citoyen habitant de Belleville, qu’ils soupçonnent d’avoir coopéré avec moi au placement de cette machine.

Ces événements, messieurs, me mettent dans l’impossibilité de faire l’expérience que j’avais promise, à moins que l’Assemblée ne me prenne sous sa sauvegarde spéciale, ainsi que les personnes nécessaires à l’exécution de cette expérience. Je m’engage à la mettre à exécution avant douze jours, si l’Assemblée veut seconder mon zèle, en m’accordant l’indemnité nécessaire aux réparations de mes machines, et surtout en prenant les mesures convenables pour ma sûreté et celle de mes coopérateurs. »

La demande présentée en ces termes, au gouvernement, devait rester longtemps sans réponse. Le 21 septembre, la Convention nationale avait remplacé l’Assemblée législative, et les nombreuses préoccupations politiques de cette époque agitée, faisaient négliger les questions d’ordre secondaire, ou qui n’exigeaient pas une solution immédiate. Ignace Chappe ne faisait pas partie de la nouvelle Assemblée. D’un autre côté comme c’était avec leurs propres deniers que les Chappe avaient pourvu aux frais de tous les travaux, qui avaient atteint la somme de 40 000 francs, leur fortune était compromise. En même temps, leur sécurité était loin d’être assurée, car en ces temps difficiles, le peuple continuait à voir avec méfiance un mystérieux appareil dont il ne comprenait pas l’usage.

Claude Chappe avait heureusement la première qualité de l’inventeur : il avait la patience. Il attendit qu’une occasion favorable vînt éclairer son étoile, un moment éclipsée.

En attendant, Ignace Chappe qui, en sa qualité d’ancien représentant du peuple, avait conservé ses relations dans les ministères, avait soin d’entretenir les bonnes dispositions des fonctionnaires en sa faveur. Il passait de longues journées dans les bureaux de la guerre dont Bouchotte était alors ministre.

Dans une conversation qu’il eut un jour, avec le chef de division Miot, Ignace Chappe fit faire un grand pas à l’invention, non dans les choses, mais dans les mots, ce qui a bien sa valeur. On avait désigné jusque-là la machine de Chappe sous le nom de tachygraphe, c’est-à-dire qui écrit vite (ταχὺς, vite, γράφω, j’écris). Miot, homme lettré, qui fut plus tard membre de l’Institut, ministre plénipotentiaire et ambassadeur, n’approuvait pas l’expression de tachygraphe. Cette expression était, en effet, incomplète, car elle n’implique pas l’idée de l’écriture à distance. Il proposa à Ignace Chappe de remplacer cette désignation par celle de télégraphe, c’est-à-dire qui écrit de loin, expression correcte et juste, qui, ne spécifiant aucun système, exprime très-bien l’idée de la distance, et répond ainsi parfaitement à l’idée de l’invention. Cette expression, qui passa promptement dans la langue française, et de là dans d’autres langues de l’Europe, ne fut pas pour rien dans le succès du nouveau système de correspondance. C’est au mois d’avril 1793, que Miot baptisa si heureusement la découverte française[1].

Cependant plus d’une année s’était écoulée depuis le jour où Claude Chappe avait présenté sa pétition à l’Assemblée, et les choses n’avançaient pas. La pétition avait été envoyée au Comité de l’Instruction publique, et elle dormait, oubliée dans ses cartons.

Ce fut par hasard qu’un député de la Convention, membre du Comité de l’Instruction publique, le citoyen Romme, qui avait quelques notions de sciences, trouva dans les cartons l’exposé de l’inventeur. En d’autres temps peut-être, ce projet n’eût aucunement excité son intérêt. Mais à une époque où plusieurs armées éparses sur divers points du territoire, avaient besoin de pouvoir communiquer promptement et librement entre elles, un agent rapide et secret de correspondance

  1. Éd. Gerspach, Histoire administrative de la télégraphie aérienne en France, in-8o, Paris, 1861, page 16.