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jeune bénédictin, elle s’envola au premier souffle contraire. Au bout de six mois, dom Gauthey était si parfaitement oublié, qu’il ne put trouver en France un imprimeur qui consentît à publier, même à prix d’argent, l’exposé de son système.

En désespoir de cause, le pauvre inventeur s’embarqua l’année suivante, pour l’Amérique. Il y fit connaître sa découverte et demanda des souscriptions. Mais il ne put trouver qu’un imprimeur, qui voulût bien publier son Prospectus, lequel parut à Philadelphie en 1783.

Les idées de dom Gauthey étaient cependant beaucoup plus rationnelles qu’on ne le penserait peut-être au premier aperçu. Rien n’indique, dans la théorie mathématique du mouvement de l’air, que le son doive s’affaiblir en parcourant de longs tuyaux ; aussi est-il probable que les expériences de dom Gauthey reprises sérieusement amèneraient d’utiles résultats. Le son parcourt trois cent quarante mètres par seconde, ou trois cent six lieues par heure ; on conçoit donc que, s’il peut se transmettre sans s’altérer dans des tuyaux cylindriques, on pourrait obtenir, en disposant un certain nombre de postes aux distances convenables, un moyen de correspondance qui ne serait pas sans valeur.

Non-seulement, en effet, les tubes propagent très-bien le son, mais ils en accroissent singulièrement la puissance. Un coup de pistolet tiré à l’une des extrémités d’un tube fait entendre à l’autre extrémité le bruit du canon. Jobard a reconnu que le mouvement d’une montre, qui n’est pas sensible à la distance de 16 centimètres, s’entend très-bien au bout d’un tuyau métallique de 16 mètres, sans que la montre touche le métal et même lorsqu’elle en est éloignée de plusieurs pieds. Dom Gauthey avait déjà reconnu le même fait avec un tuyau de cent dix pieds.

MM. Biot et Hassenfratz ont fait des expériences plus décisives encore et qui confirment parfaitement les faits avancés par le moine de Cîteaux. Ils ont reconnu qu’à travers les tubes souterrains, la voix se propage sans rien perdre de son intensité à un kilomètre de distance[1].

Le son peut d’ailleurs se transporter à des distances considérables sans l’intermédiaire d’aucun conducteur. Le docteur Arnoldt raconte que pendant son retour d’Amérique en Europe, à bord du paquebot, tout à coup un matelot s’écria qu’il entendait le son des cloches. Ceci fit beaucoup rire l’équipage : on

  1. Ces curieuses expériences ont été faites à l’aide des tubes cylindriques qui servent à l’écoulement souterrain des eaux de Paris. Au moyen de ces tubes, M. Biot put soutenir une conversation à voix basse avec une personne placée à près d’un kilomètre de distance ; ni lui ni son interlocuteur n’eurent besoin de poser l’oreille sur le tuyau, tant la perception était aisée ; les sons leur parvenaient dans toute leur pureté, on les entendait même deux fois très-distinctement : une fois dans le tube, une autre fois à travers l’air extérieur. « Les mots dits aussi bas que lorsqu’on parle en secret à l’oreille, étaient reçus et appréciés. Des coups de pistolet, tirés à l’une des extrémités, occasionnaient à l’autre une explosion considérable ; l’air était chassé du tuyau avec assez de force pour jeter à plus d’un demi-mètre des corps légers, et pour éteindre des lumières… Enfin, ajoutent les auteurs de cette expérience, le seul moyen de ne pas être entendu à cette distance eût été de ne pas parler du tout. » (Mémoires de la Société d’Arcueil, t. II.)

    Jobard a répété et a beaucoup étendu ces expériences. Il fit placer 601 pieds de tubes de zinc de 3 pouces de diamètre dans un vaste atelier. Ces tubes, dont les diverses portions étaient mal jointes, formaient entre eux onze coudes à angle droit : ils montaient et descendaient d’étage en étage ; une partie était suspendue aux murs, une autre couchée sur le plancher. Plusieurs centaines de personnes ont constaté qu’on s’entendait ainsi parfaitement, même en causant à voix basse. Ce dernier fait a mis hors de doute un point que MM. Biot et Hassenfratz n’avaient pas résolu : c’est que le bruit extérieur n’entrave pas les communications acoustiques ; en effet, pendant cette expérience, des machines à vapeur marchaient, des tours, des limes et des marteaux ébranlaient tous les étages de l’atelier, sans nuire aucunement à la perception des sons.

    Des ingénieurs distingués ont étudié, en Belgique, la question de l’établissement des tubes acoustiques. On a reconnu que les conditions de succès résident dans la nature des tubes, qui doivent être composés de métaux sonores et dans leur isolement le plus complet possible par rapport au sol. Le gouvernement belge a depuis longtemps accordé l’autorisation d’établir le long des routes des tubes de ce genre. Il n’est pas douteux qu’on ne pût parvenir à correspondre ainsi entre des villes fort éloignées l’une de l’autre. Le savant Babbage se fait fort de causer de Londres avec une personne résidant à Liverpool, qui en est éloignée de 70 lieues. Rumford était plus hardi, il pensait que la voix humaine peut franchir ainsi des centaines de lieues.