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bases solides. Pour qu’une branche quelconque des sciences physiques puisse se constituer, se perfectionner ou s’étendre, il ne suffit pas qu’elle possède un certain nombre de faits ; il faut encore que ces faits puissent être rapprochés et comparés entre eux ; il faut que les actions, une fois produites, puissent être soumises à la mesure. Or, les phénomènes relatifs à la chaleur n’étaient alors susceptibles d’aucune comparaison, car les physiciens ne possédaient encore aucun instrument de mesure. À la vérité, il existait depuis un siècle, un petit appareil désigné sous le nom de thermomètre ; mais c’est à tort qu’il portait ce nom, car il ne pouvait servir en aucune manière à mesurer et à comparer les différentes températures des corps. Il permettait seulement d’apprécier une différence de température entre deux corps inégalement échauffés.

Les instruments qui nous servent à rechercher les lois de la nature étaient entachés, à leur origine, d’imperfections que l’on a vues successivement disparaître devant les résultats de l’expérience. À l’exception du baromètre, qui conserve encore les dispositions que lui assigna Torricelli, tous les instruments d’observation ou de mesure physique, tels que le télescope, le microscope, la machine pneumatique, la machine électrique, la pile de Volta, etc., ont dû subir un très-grand nombre de transformations avant de recevoir la forme qu’ils présentent de nos jours. Le thermomètre offre particulièrement un exemple de ce fait. Il a fallu deux siècles de travaux pour porter cet instrument au degré de perfection qui le distingue aujourd’hui.

On a revendiqué en faveur d’un grand nombre de savants la découverte du thermomètre. François Bacon, Fludd, Drebbel, Sanctorius, Galilée, Van Helmont même, ont été successivement honorés du titre d’inventeurs de cet instrument. Les idées insuffisantes et vagues qui présidèrent à sa construction primitive, au xviie siècle, ne méritaient guère d’être disputées entre des savants d’un tel ordre. Rien ne ressemble moins à un appareil de mesure que le thermomètre dont les physiciens du xviie siècle ont fait usage.

Le premier de ces instruments, qui paraît avoir été construit par le Hollandais Cornélius Drebbel, se composait d’un simple tube de verre rempli d’air, fermé à son extrémité supérieure, et plongeant, par son extrémité ouverte, dans un petit flacon qui contenait de l’eau-forte étendue d’eau. Selon la température extérieure, et par l’effet de la dilatation de l’air enfermé dans le tube, le liquide montait ou s’abaissait dans le tube. L’instrument était muni d’une échelle divisée en parties égales. Mais sa graduation, qui n’était fondée sur aucun principe déterminé, ne fournissait aucune indication comparable.

Un membre de l’Académie del Cimento, de Florence, perfectionna, vers le milieu du xviie siècle, cet instrument grossier, sans réussir à rendre ses degrés comparables.

Le thermomètre de l’Académie del Cimento consistait simplement en un tube de verre purgé d’air et rempli d’alcool coloré. On le portait dans une cave et l’on marquait d’un trait le point où s’arrêtait le liquide ; les portions du tube situées au-dessus et au-dessous de ce trait étaient ensuite divisées en 100 parties égales. Avec une division aussi arbitraire, ces instruments ne pouvaient s’accorder entre eux. Deux thermomètres construits suivant cette même méthode, parlaient, chacun, une langue différente. Cependant la physique se contenta, durant un demi-siècle, de cet instrument grossier[1].

  1. Dans ses expériences sur le digesteur, Papin ne se servit jamais du thermomètre. Pour évaluer la température de la vapeur qui remplissait l’appareil, il se contentait de laisser tomber une goutte d’eau sur le couvercle du digesteur ; le nombre de secondes que cette goutte d’eau employait à s’évaporer lui servait d’indice comparatif et de moyen de mesure pour déterminer approximativement la température de la vapeur (Voyez Manière d’amollir les os, p. 12.)