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mobile AB, dont le pôle austral A regarde le nord, et le pôle boréal B, le sud. (On est convenu d’appeler pôle boréal celui des deux pôles d’un aimant qui, saturé de fluide boréal, est attiré par le pôle sud ou pôle austral de la terre, et se dirige vers le sud ; et de même, pôle austral, celui qui se dirige vers le nord de la terre.) La déviation aura lieu, ainsi que le montre la figure, du nord vers l’ouest, et du sud vers l’est. Si le fil est en bas, la déviation se fera en sens contraire (fig. 381).

Pour faciliter l’énoncé de ces résultats, Ampère eut l’idée étrange, mais singulièrement ingénieuse, de personnifier, pour ainsi dire, le courant.

On suppose que le courant traverse un observateur, en entrant par les pieds et en sortant par la tête ; ou bien que l’observateur descend au fil du courant. Puis, identifiant ce courant avec l’observateur lui-même, on dit que le courant a une face, un dos, une droite et une gauche ; c’est la face, le dos, la droite ou la gauche de l’observateur imaginaire. Il suffit alors de se figurer l’observateur, comme le représente la figure 382, et de le tourner de manière qu’il regarde toujours l’aiguille aimantée AB, pour comprendre tous les phénomènes de déviation dans un énoncé très-simple : le pôle austral (pôle nord) de l’aiguille se dirige toujours vers la gauche du courant.

Fig. 382. — Courant électrique personnifié.

Ce singulier énoncé d’Ampère s’accorde avec l’expérience, que le fil soit vertical ou horizontal, qu’il soit au-dessus ou au-dessous de l’aiguille. Il contient en germe la théorie de l’électro-magnétisme, telle qu’elle a été développée par Ampère. Il fournit enfin le moyen de reconnaître immédiatement l’existence et la direction d’un courant galvanique par la déviation qu’il imprime à l’aiguille d’un galvanomètre. En outre, la grandeur de cette déviation mesure l’intensité du courant.

Ces propriétés de déviation des courants doivent, au premier abord, paraître bien singulières. Tout le monde sait qu’un levier qui peut tourner autour d’un pivot fixe, ne se déplacerait pas si on le tirait dans le sens de sa longueur ; pour le faire marcher, il faut le pousser transversalement. Or c’est, en apparence du moins, le contraire de ce qui arrive pour les courants mis en présence de l’aiguille d’une boussole. Quand le fil conjonctif que traverse un courant, est placé suivant l’axe longitudinal de l’aiguille, la force déviatrice est à son maximum ; quand le courant se présente à l’aiguille dans une direction perpendiculaire au méridien, l’effet est insensible, l’aiguille reste en repos.

« Telle est l’étrangeté de ces faits, dit Arago, que, pour les expliquer, divers physiciens eurent recours à un flux continu de matière électrique circulant autour du fil conjonctif, et produisant la déviation de l’aiguille par voie d’impulsion. Ce n’était rien moins, en petit, que les fameux tourbillons qu’avait imaginés Descartes, pour rendre compte du mouvement général des planètes autour du soleil. Ainsi, la découverte d’Œrsted semblait devoir faire reculer les théories physiques de plus de deux siècles[1]. »

C’est Œrsted lui-même qui émit cette hypothèse étrange des tourbillons électriques circulant autour du fil conjonctif, en deux hélices, de directions contraires pour les deux fluides.

Cette théorie a été aussi vite abandonnée que conçue, parce qu’elle donne lieu à trop d’objections. Mais il faut ajouter que jusqu’à ce jour, elle n’a été remplacée par aucune autre qui explique la nature intime des cou-

  1. Arago, Notice biographique sur Ampère, vol. II des Œuvres.