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la chaleur, et se retrouveraient ainsi en état de mouvoir le même axe de la manière précédemment décrite. D’ailleurs, un seul fourneau et un peu de feu suffiraient pour élever successivement tous les pistons.

Mais on objectera peut-être que les dents des tiges engrenées dans les dents des roues exerceront sur l’axe des actions en sens inverse quand elles descendront et quand elles remonteront, et qu’ainsi les pistons montants contrarieront le mouvement des pistons descendants, et réciproquement. Cette objection est sans force. Tous les mécaniciens connaissent parfaitement un moyen par lequel on fixe à un axe des roues dentées qui, mues dans un sens, entraînent l’axe avec elles, et qui, dans l’autre sens, ne communiquent aucun mouvement, et le laissent obéir librement à la rotation opposée. La principale difficulté est donc d’avoir une fabrique où l’on forge facilement ces grands tubes, comme on l’a dit en détail dans les Actes des érudits, du mois de septembre 1688. Et cette nouvelle machine doit être un nouveau motif pour accélérer cet établissement ; car elle démontre clairement que ces grands tubes pourraient être appliqués très-commodément à plusieurs usages importants. »

Comme on vient de le voir par la lecture de ce document si remarquable à tous les titres, Papin croyait que son appareil était susceptible de recevoir dans l’industrie une application immédiate. En cela il tombait dans l’erreur commune des inventeurs, qui n’hésitent pas à considérer la première suggestion de leur esprit comme le dernier mot de la science et de l’art. On ne peut, en effet, voir dans la machine du physicien de Blois, qu’un moyen de démontrer, par l’expérience, le principe de la force élastique de la vapeur, et du parti que l’on peut en tirer comme force motrice. Quant à l’appliquer, telle qu’elle était conçue, aux usages de l’industrie, il était impossible d’y songer. La disposition grossière, qui consistait à placer une légère couche d’eau dans le cylindre lui-même et à produire la vapeur à l’aide d’un brasier placé par-dessous, de telle sorte que l’appareil n’était alimenté que par cette petite quantité d’eau qui ne se renouvelait jamais ; — le moyen, plus vicieux encore, qui faisait dépendre la chute du piston du refroidissement spontané de la vapeur, par suite du simple éloignement du brasier ; — ces tubes de métal mince, que l’action du feu aurait rapidement détruits et incapables de résister efficacement à la pression intérieure exercée sur leurs parois ; — l’absence d’un moyen propre à prévenir les explosions : tout nous montre que cet appareil ne présentait aucune des conditions que l’on voit communément réalisées dans la plus médiocre des machines industrielles.

Cette erreur devait durement peser sur la destinée de Papin. Les défauts de sa machine étaient d’une évidence à frapper tous les yeux. Aussi fut-elle accueillie avec une désapprobation marquée et placée, d’un accord unanime, au rang des appareils imparfaits qu’il avait antérieurement fait connaître. Sa grande conception concernant l’emploi de la vapeur, fut enveloppée dans la même défaveur qui avait accueilli sa machine à double pompe pneumatique et sa machine à poudre. Aucun recueil scientifique ne reproduisit le mémoire publié dans les Actes de Leipsick. Le physicien Hooke se borna à faire ressortir, dans quelques notes lues à la Société royale de Londres, les inconvénients de la nouvelle machine motrice proposée par le Dr Papin, et tout fut dit.

L’indifférence que rencontra sa découverte, eut pour lui une conséquence funeste. En présence du peu de succès de ses idées, il se prit à douter de lui-même ; il crut avoir fait fausse route, et abandonna entièrement le projet de sa machine à vapeur. Il y avait cependant bien peu de modifications à apporter à sa construction primitive pour la rendre applicable à l’industrie. L’emploi d’une chaudière servant à amener la vapeur dans l’intérieur du cylindre, et le refroidissement de la vapeur provoqué par une aspersion d’eau froide, auraient suffi pour en faire le moteur le plus puissant que l’industrie eût possédé jusqu’à cette époque. Par malheur, les critiques qu’il rencontra, découragèrent Papin, qui cessa entièrement de s’occuper de ce sujet, et lorsque, quinze ans après, il essaya d’y revenir, il fut conduit à proposer un appareil tout différent du premier, et dans lequel, abandonnant la grande idée dont l’honneur lui