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le tout avec tant de violence, que la sentinelle, frappée de stupeur, perdit pour quelques moments l’usage de ses sens. Quelques ouvriers employés aux travaux de la forteresse, à deux cent cinquante pas des magasins, virent la foudre sortir du nuage, et frapper la pointe du conducteur, sans lequel évidemment tous les bâtiments auraient sauté[1].

« La grande colonne de Londres le Monument, dit Arago dans sa Notice sur le tonnerre, fut élevée dans l’année 1677, par Christophe Wren, en commémoration du grand incendie de cette capitale. Elle a environ soixante-deux mètres de hauteur, à compter du pavé de Fish-street. Sa partie supérieure se termine par un large bassin de métal, rempli d’un grand nombre de bandes également métalliques, plus ou moins contournées, dirigées dans divers sens, et qui, étant destinées à figurer des flammes, sont toutes terminées en pointes très-aiguës. Du bassin jusqu’à la galerie descendent verticalement quatre fortes barres de fer, qui servent d’appui aux marches de l’escalier de même métal, aboutissant au bassin. Une des quatre barres (elle n’a pas moins, à sa base, de treize centimètres de largeur sur vingt-cinq millimètres d’épaisseur) est en communication avec les mains courantes en fer de l’escalier, lesquelles descendent jusqu’au sol. Tout le monde retrouvera ainsi les pointes multiples de certains paratonnerres et le conducteur. Je n’ai pas appris que, dans les cent soixante années qui se sont écoulées depuis 1677, un seul coup de foudre ait frappé le Monument.

« Les dégâts faits par la foudre dans la tour de Strasbourg étaient, chaque année, l’occasion d’une dépense considérable. Depuis l’époque assez récente où la flèche a été armée d’un paratonnerre, les dégâts sont nuls, et la dépense a disparu du budget municipal[2]. »

Le 5 septembre 1779, un violent orage ayant éclaté à Manheim, la foudre tomba sur une cheminée de la Comédie allemande, et la mit en pièces. Elle frappa en même temps, une maison située à peu de distance : c’était celle du comte de Riaucour, ambassadeur de Saxe à Paris. Cette dernière maison était munie depuis deux ans d’un paratonnerre, qui la préserva de tout dégât, car la foudre suivit parfaitement la chaîne conductrice. Plusieurs officiers et autres personnes virent la flamme électrique tomber sur le paratonnerre, et de là sur le sol, où elle souleva un tourbillon de sable, qui couvrit le conducteur à son entrée en terre. Ce paratonnerre avait été élevé par l’abbé Hemmer de l’Académie de Manheim, garde et démonstrateur de physique du cabinet de l’Électeur.

« Informé de ce fait, écrit l’abbé Hemmer, je me rendis le 16 du même mois, avec une bonne lunette, devant la maison de M. le comte de Riaucour, où, ayant bien examiné les pointes des conducteurs (chacun en a cinq), j’en ai découvert une qui était fort endommagée, et c’était précisément sur le conducteur sur lequel on assurait avoir vu tomber la foudre. J’ai fait monter un couvreur pour dévisser cette pointe, qui était la perpendiculaire, les quatre autres étant horizontales ; cet homme me l’ayant apportée en présence de plusieurs personnes, nous l’avons trouvée fendue vers le haut, et très-fortement courbée et tortillée à la longueur de deux pouces et demi. À l’endroit où cette courbure finit, elle a deux lignes et demie de diamètre. J’en ai fait visser une autre à sa place, et je conserve la première dans le cabinet de physique de S. A. S. E.[3]. »

Le paratonnerre que l’abbé Bertholon avait élevé sur l’église de Saint-Just à Lyon, donna une preuve de l’efficacité de ces instruments, même quand ils sont privés de leur pointe. Le désir de voir la foudre tomber sur ce paratonnerre, afin de montrer à tous les yeux la manifestation de l’utilité de cet appareil, avait engagé Bertholon à différer assez longtemps de le compléter, en l’armant de sa pointe. Il espérait que dans cet état la foudre, qui l’avait auparavant assez souvent visité, pourrait y revenir. Le 3 septembre 1780,

  1. C’est ce qui était arrivé pour une énorme quantité de poudre appartenant à la république de Venise, et qui se trouvait déposée sous les voûtes de l’église de Saint-Nazaire, à Brescia. Au mois d’août 1767, la tour principale de cette église fut frappée de la foudre ; le fluide électrique descendit dans les souterrains, et deux cent sept mille six cents livres de poudre firent explosion. Un sixième de la belle cité de Brescia fut détruit par cette catastrophe, qui entraîna la mort d’environ trois mille personnes.

    Un événement de même nature, amené par l’absence de précautions, fit sauter, à Sumatra (1782), les bâtiments d’un entrepôt où étaient enfermés quatre cents barils de poudre.

    Enfin, à Luxembourg, en 1807, l’explosion d’un magasin où la foudre mit le feu à douze tonneaux de munitions d’artillerie, fit écrouler toute la partie inférieure de la ville.

  2. Notices scientifiques, t. I, p. 386.
  3. Sigaud de Lafond, Précis historique et expérimental sur l’électricité, p. 269.