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soutirant l’électricité des nuages, comme le pensait Franklin : c’est tout le contraire qui a lieu. Tout le monde sait aujourd’hui que le mécanisme physique du paratonnerre repose sur l’électrisation par influence. Quand un nuage orageux, électrisé positivement, par exemple, existe au sein de l’atmosphère, il agit par influence, c’est-à-dire à distance, sur tous les corps qui se trouvent placés sur la terre, dans le rayon de son activité. Il repousse au loin le fluide positif, et attire le fluide négatif, lequel s’accumule sur les corps situés à la surface du sol, et avec d’autant plus d’abondance que ces corps sont placés à une plus grande hauteur. Les corps élevés le plus haut dans l’atmosphère, sont dès lors les plus fortement électrisés et les plus exposés à recevoir la décharge électrique. Mais si, dans ces hautes régions on a élevé des paratonnerres, c’est-à-dire des tiges métalliques pointues en communication avec le sol, le fluide négatif attiré du sol par l’influence du nuage, s’écoule dans l’atmosphère et va neutraliser le fluide positif, au sein même de ce nuage.

Il peut arriver pourtant que la masse d’électricité contenue dans la nuée orageuse soit si considérable, que le conducteur du paratonnerre reste insuffisant pour emprunter au sol la quantité de fluide opposé, nécessaire pour neutraliser le fluide libre du nuage. La foudre éclate alors ; mais comme l’électricité suit toujours le meilleur conducteur, c’est le paratonnerre qui reçoit la décharge, en raison de sa parfaite conductibilité, et l’édifice est préservé.

Malgré les efforts de quelques physiciens intelligents, parmi lesquels il faut citer Charles et Leroy, de l’Académie des sciences, on repoussa donc, en France, jusqu’à l’année 1782, les paratonnerres, que l’Amérique avait adoptés dès l’année 1760, sur les recommandations et grâce au crédit politique de Franklin.

Les physiciens qui partageaient les idées de Nollet, ne se contentaient pas de déclamer contre cet appareil, comme inutile et ridicule ; ils le dénonçaient comme dangereux pour la sécurité publique, ce qui eut pour effet d’amener des émeutes populaires.

En 1783, un gentilhomme de la ville de Saint-Omer, M. Visseri de Boisvallé, avait fait élever sur sa maison, un paratonnerre, qu’il avait surmonté d’une sorte de globe, terminé par une épée qui menaçait le ciel. À la vue de cet appareil, toute la ville fut en rumeur. La foule se rassembla, menaçante, et toute prête à faire un mauvais parti au téméraire novateur[1].

Partageant les préjugés populaires, la municipalité de Saint-Omer, au lieu de soutenir M. Visseri, rendit un arrêté qui lui intimait l’ordre d’abattre l’appareil suspect. Ce dernier résista à une prétention qui excédait les pouvoirs de l’autorité municipale, et saisit de la question le tribunal d’Arras.

Un avocat, alors très-obscur, fut chargé de la défense de M. Visseri de Boisvallé : sa plaidoirie et la cause à laquelle elle se rapportait eurent un grand retentissement. Toute la France s’occupa de l’affaire de Saint-Omer, et en suivit les phases avec sollicitude.

Le jugement du tribunal d’Arras, du 31 mai 1783, qui cassait l’arrêté de la municipalité de Saint-Omer, fut accueilli dans le royaume, avec des applaudissements unanimes, et on lut avec empressement la plaidoirie du jeune avocat, qui, au dire du Journal des savants, avait traité son sujet « avec beaucoup d’esprit et d’érudition ».

Le jeune avocat du tribunal d’Arras s’appelait M. de Robespierre, et cette affaire commença la réputation du terrible conventionnel.

En 1771, Th. de Saussure, à Genève, avait fait dresser un paratonnerre, pour garantir sa maison et son quartier. Toute la ville s’émut, et, pour tranquilliser les esprits, Th. de Saussure dut faire imprimer un petit ouvrage sur

  1. La physique à la portée de tout le monde, par le Père Paulian, in-8o, t. II, p. 389.