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glais avaient plaidé avec une ardeur digne d’une meilleure cause. Le souvenir de cette dispute ridicule et des productions scientifiques auxquelles elle a donné lieu, mérite d’être conservé, afin de rappeler tout ce que perd la science en considération et en honneur, quand elle s’abaisse à flatter les mesquines passions et les rancunes des princes.

L’opposition, toute scientifique, que le paratonnerre rencontra en France, partit de l’abbé Nollet. Ce physicien étant alors à Paris l’oracle de l’électricité, on dut accorder une grande attention à ses critiques, qui n’avaient pourtant d’autre mobile qu’une vanité d’auteur.

L’abbé Nollet fut pendant toute sa carrière le rival déclaré de Franklin, et ce n’est pas sans motifs qu’il avait pris cette attitude. S’étant occupé dans presque tout le cours de sa vie, à faire des expériences sur les phénomènes électriques, ou à répéter celles des autres physiciens, l’abbé Nollet n’avait réussi à attacher son nom à aucune découverte importante. Seulement, il avait conçu et exposé une théorie générale de l’électricité, qu’il croyait destinée à remplacer celle de Dufay : c’est la théorie des affluences et effluences simultanées, que l’on trouve invoquée à chaque instant dans ses nombreux écrits, et par laquelle il prétendait expliquer l’ensemble des phénomènes électriques plus simplement que par la théorie des deux fluides imaginée par Dufay.

Fille des systèmes cartésiens, issue des mêmes principes qui avaient donné à l’ancienne physique, la matière subtile, les petits corps, les atomes et les pores invisibles, cette théorie n’était qu’une tardive évocation du passé. Imaginée avant la découverte des phénomènes les plus importants de l’électricité, elle devait tomber en ruines en présence des faits nouveaux dont la science ne tarda pas à s’enrichir[1].

Tandis que l’abbé Nollet avait consumé toute sa carrière sans avoir produit une seule de ces découvertes qui perpétuent le nom d’un savant, Franklin, qui n’avait accordé à la physique que quelques années, dérobées à l’activité des affaires publiques, avait su s’attirer une réputation immense. Il avait donné l’analyse des effets de la bouteille de Leyde, que personne en Europe n’avait su expliquer avant lui, et provoqué par la publication de ses Lettres, la découverte de l’électricité atmosphérique. Il avait, en même temps, émis une théorie générale pour l’explication des phénomènes électriques, théorie d’une simplicité séduisante, et qui était le contre-pied de celle de l’abbé Nollet. Par toutes ces causes, et par un sentiment qu’explique la faiblesse humaine, notre physicien devait donc éprouver peu de sympathie pour la personne et pour les idées de l’électricien du Nouveau-Monde.

En exposant ici les motifs qui nous semblent devoir rendre compte de l’hostilité de l’abbé Nollet contre son rival d’Amérique, nous ne voudrions pas paraître injuste envers un savant, honorable à beaucoup d’égards, et qui a rendu à la science de l’électricité d’éminents services par sa constante ardeur à la propager. L’honnête professeur du collège de Navarre est digne de la sympathie et des respects de la postérité, comme il mérita, de son vivant, l’estime et la considération publiques.

Né à Pimprèz, village des environs de Noyon, Antoine Nollet était le fils de pauvres

  1. Voici un exposé, en raccourci, de la théorie des affluences et effluences simultanées qui fut proposée par l’abbé Nollet, pour expliquer tous les phénomènes électriques. Nous prendrons comme exemple le fait simple de l’attraction et de la répulsion successives d’un corps, approché d’un autre corps préalablement électrisé.

    Pour rendre raison de ce phénomène, Nollet admet deux courants de matière électrique, qui vont en sens contraire : l’un tend vers le corps électrisé et s’insinue dans ses pores, tandis que l’autre s’élance du sein de ce même corps. Le premier courant, qu’il désigne sous le nom de matière affluente, entraîne avec lui les substances légères qu’il rencontre et les amène au corps électrisé ; de là naissent les attractions. Le second courant, qui se nomme matière effluente, repousse ces mêmes substances, en sortant du corps électrisé et occasionne par là les répulsions. Ces deux courants de matière, en se rencontrant, produisent par le choc mutuel de leurs rayons, les étincelles électriques.

    Cette théorie surannée a été défendue par Nollet jusqu’à la fin de sa vie.