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fût passée, et que si je ne l’éprouvai point avant l’hiver, ce fut parce qu’il ne trouva point les matériaux dont il avait besoin pour la construire.

M. Bégué dira que je lui confiai le même secret ; qu’à la vérité il ne se ressouvient pas précisément du temps ; mais il affirmera que ce fut cinq à six jours après la première expérience que j’avais faite avec la barre de M. Franklin ; et il ajoutera que si l’on sait le jour de cette première opération, on saura le jour de la confidence[1].

M. le chevalier de Vivens déposera qu’il se rappelle très-bien que je me rendis à Clairac, à la prière de M. de Secondat et à la sienne, vers la mi-août 1752, pour leur faire voir, si l’occasion s’en présentait, l’électrisation de la barre de M. Franklin par le feu du tonnerre ; que le 18 du même mois je dressai cette machine au-dessus du toit du château de Vivens ; qu’elle fut éprouvée avec succès le lendemain ; que l’expérience finie, étant entrés lui et moi dans son cabinet, il me loua beaucoup sur la simplicité que j’avais donnée à la suspension et à l’isolement de la barre ; qu’ayant répondu, comme je le devais, à son compliment, je lui dis que j’avais l’idée d’une machine qui serait beaucoup plus simple, et de laquelle je comptais néanmoins tirer des effets mieux marqués ; qu’enfin je lui parlai du cerf-volant des enfants, tel que je l’ai exécuté et perfectionné depuis.

Voilà, monsieur, à peu près les termes dans lesquels les dépositions de ces trois messieurs seraient conçues, si quelqu’un venait à les interpeller. Mais comme nos adversaires ne voudraient peut-être pas se donner le soin de rassembler ces dépositions, et que par bonheur elles sont consignées dans des lettres qui datent d’assez loin, j’offre de vous en confier les originaux, si vous jugez qu’il soit nécessaire de les faire connaître au public, ou même si vous les désirez, pour votre propre satisfaction.

Incertain de savoir si vous accepterez ces offres, je prends la liberté de vous faire passer, monsieur, des pièces qui y suppléeront. C’est, d’une part, une copie du rapport que MM. Duhamel et Nollet, commissaires nommés par l’Académie royale des sciences de Paris, firent de ces lettres à cette célèbre Compagnie, le 4 de février 1764. C’est, d’une autre part, une copie du jugement qui fut prononcé tout de suite.

… Après que j’eus éprouvé mon cerf-volant, je ne restai point oisif ; je méditai beaucoup sur les effets que cette machine avait produits : ces méditations furent les germes de plusieurs idées. Pour vérifier ces idées, je faisais voler le cerf-volant, quoiqu’il n’y eût pas d’orage. J’eus un tel succès, que je le vis électrisé presque en toute circonstance ; c’est-à-dire, soit que le temps fût chaud, froid, serein, nébuleux, pluvieux, ou même neigeux[2]. Content, plus que je ne saurais l’exprimer, de ces différentes épreuves, qui répandent un grand jour sur une partie très-intéressante de la physique, et rempli de reconnaissance envers M. Franklin de ce que, par l’indication de sa barre, il m’avait mis sur la voie d’imaginer le cerf-volant, je lui adressai, le 19 d’octobre 1753, les deux mémoires dont il est fait mention dans le second tome des étrangers, accompagnés d’une de mes lettres. M. Franklin reçut le tout, et m’en accusa la réception par une des siennes, du 29 de juillet 1754.

Ce qui est digne d’être bien remarqué dans cette lettre, c’est que M. Franklin n’y revendique pas l’invention du cerf-volant. C’était pourtant alors le temps où il devait le faire : il dut apercevoir dans ma lettre, et mieux encore dans le premier mémoire, que je prétendais être l’auteur de cet instrument. En effet, j’y disais en ces termes : « J’avais une idée depuis l’année dernière (1752), qui me faisait espérer qu’il me serait aisé d’élever un corps au-dessus de la terre de plus de six cents pieds, sans qu’il m’en coûtât même six francs. J’en parlai fort mystérieusement[3] dans ma lettre à l’Académie de Bordeaux, du 12 juillet de l’année dernière, et après avoir promis à cette compagnie de lui dévoiler mon projet d’abord que je serais assuré qu’il était immanquable, je me contentai de dire en quoi il consistait à M. le chevalier de Vivens et à d’autres personnes qui me font l’honneur de me vouloir du bien[4]. Je suis à présent en état de le produire au jour, ce projet ; il m’a réussi pleinement : je puis même dire au delà de mon attente. Voici en quoi il consiste : ce n’est qu’un jeu d’enfant[5] ; il s’agit de faire un cerf-volant, c’est-à-dire un de ces châssis de papier que les enfants font voler ; plus ce châssis sera grand, plus il pourra s’élever, parce qu’il sera en état de soutenir un plus grand poids de corde. »

En comparant ce trait de mon premier mémoire avec la lettre de M. Franklin, dans laquelle on ne saurait rien trouver d’où l’on puisse induire que ce physicien ait eu seulement la pensée de me disputer l’invention du cerf-volant électrique, la première idée est sans doute qu’il me reconnut alors pour l’auteur de cette machine. Mais si M. Franklin ne me conteste pas cet avantage, M. Priestley, qui a vu aussi ce

  1. Cela est su, puisque ma première expérience avec la barre de M. Franklin est du 9 juillet 1752, comme il est prouvé par ma lettre du 12 juillet 1752 à l’Académie de Bordeaux.
  2. J’ai rendu compte de ces expériences dans des mémoires particuliers, ainsi que je puis le prouver par différentes lettres que j’ai en main.
  3. Le mystère du cerf-volant était caché dans ma lettre du 12 juillet 1752, sous ces termes : quoiqu’elle ne soit qu’un jeu d’enfant.
  4. C’est ce que j’ai prouvé ci-dessus (pages 456 et 457), en parlant des lettres de MM. le chevalier de Vivens, de Bégué et Dutilh.
  5. Je jugeai à propos de répéter, dans le Mémoire, ces termes de ma lettre, parce que mon idée était, dans le principe, de les faire servir de mot de guet.