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deaux, depuis le 15 de juillet 1752, jour auquel elle fut soumise à cette compagnie ;

2o Qu’elle fut lue dans la séance particulière du 17 du même mois ;

3o Qu’elle fut lue, une seconde fois, dans l’assemblée publique du 25 août suivant ;

4o Qu’en 1756, un journaliste m’ayant paru chercher le moyen de m’enlever, à petit bruit, l’invention du cerf-volant, je demandai à l’Académie, le 7 de mars de la même année, une expédition de la finale de cette lettre ;

5o Que je négligeai de me faire délivrer cette pièce, parce que personne ne se montra pour me disputer cet instrument ;

6o Qu’un particulier s’étant avisé, en 1760, de renouveler la querelle à l’occasion d’une lettre de M. Watson, je demandai de nouveau, au mois de mars 1761, l’expédition dont je viens de parler ;

7o Que cette expédition fut faite enfin le 10 de juillet, ainsi qu’il conste du certificat de M. de Lamontaigne, conseiller au parlement, et secrétaire perpétuel de notre Académie ; certificat dont je joins ici une copie écrite de ma main, pour qu’il vous plaise l’insérer dans votre journal, comme un des actes justificatifs de la présente lettre.

Si, selon ces observations préliminaires, on ne peut soupçonner que j’aie écrit après coup ma lettre du 12 juillet 1752 ; et si, à des yeux qui savent voir, ces termes, quoiqu’elle ne soit qu’un jeu d’enfant, dévoilent le mystère du cerf-volant électrique, que je me réservais de mettre au jour, lorsque je me serais assuré de sa réussite par l’expérience : peut-on dire, monsieur, que ce même jour, 12 de juillet, j’avais entendu raconter l’expérience que l’on suppose avoir été faite en Angleterre par MM. Delor et Dalibard en 1753, c’est-à-dire un an après ? On se gardera bien, apparemment, de soutenir aujourd’hui un anachronisme qui choquerait l’homme le moins sensé. Ainsi, il faudra se restreindre à soutenir que M. Franklin fit son expérience dans la campagne de Philadelphie au mois de juin 1752, et que j’en étais instruit dès le 12 de juillet suivant.

Sur ceci j’ai plusieurs réponses à fournir, sans m’écarter de la loi que je me suis imposée. Afin que j’eusse eu cette instruction si promptement, il faudrait supposer que j’eusse été connu de M. Franklin, qu’il eût pour moi une prédilection toute particulière ; qu’entraîné par le penchant de cette prédilection, il se fût hâté de dépêcher vers moi un vaisseau pour m’annoncer la nouvelle de son expérience ; que ce vaisseau n’eût éprouvé, dans son passage, aucun contre-temps ; que cet incomparable voilier, conduit exactement sur la droite route par des vents favorables, forts et constants, eût parcouru plus de douze cents lieues en moins de treize jours.

Oui, monsieur, il faut supposer ces choses ; parce que si l’expérience de M. Franklin a été faite à Philadelphie dans le mois de juin, elle n’a pu avoir lieu que dans les derniers jours de ce mois-là ; c’est ce dont vous serez pleinement convaincu, au moyen d’un fait que vous verrez dans la suite de cette lettre.

En attendant, je suis bien aise de vous observer, monsieur, qu’avant le mois de juin 1752, je n’avais nullement entendu parler de M. Franklin ; et je n’ai pas assez de vanité pour me flatter que dans ce même temps j’eusse l’honneur d’être connu de lui ; d’où il résulte qu’il n’y a nulle vraisemblance à la dépêche de ce vaisseau, qui, encore supposée réelle, serait une chose des plus extraordinaires.

Quoi qu’il en soit, monsieur, pour trancher d’un seul coup l’objection, je remarquerai que si, comme il n’est pas permis d’en douter, la première nouvelle de la prétendue expérience du cerf-volant de M. Franklin ne parvint à ses plus intimes correspondants de Londres que dans le mois de janvier 1753, et que cette nouvelle passa en France avec la lettre écrite le 15 du même mois par M. Watson à M. l’abbé Nollet [1], je laisse à penser s’il y a apparence que j’en fusse instruit le 12 de juillet 1752 : je présume que l’esprit le plus subtil qui soit au monde ne saurait se débarrasser de l’argument qui se tire naturellement de cette observation.

Mais, m’objectera-t-on peut-être, ces termes, quoiqu’elle ne soit qu’un jeu d’enfant, qu’on lit à la fin de la lettre du 12 de juillet 1752, ne désignent point la machine du cerf-volant d’une manière aussi claire que vous l’avez soutenu. Ainsi, il vous reste de produire des preuves plus certaines de votre prétention au sujet de cette machine.

Comme je n’ignore pas qu’il y a des yeux troubles ou louches, qui voient obscurément ou de travers les objets qui sont reconnus par d’autres très-distinctement, et tels qu’ils sont en effet, je ne dédaigne point de répondre à cette objection. Pour satisfaire tout le monde, je demande si le témoignage de trois personnes, dignes de foi, sera capable de terminer la contestation ? Si ce témoignage est trouvé suffisant, je prie quelqu’un de ceux qui se sont déclarés contre moi de vouloir prendre la peine d’interpeller MM. Dutilh, Bégué, curé d’Asquets, et le chevalier de Vivens, qui est très-connu dans la république des sciences ; et l’on sera bientôt assuré que, par ces termes, quoiqu’elle ne soit qu’un jeu d’enfant, j’entendais parler du cerf-volant électrique.

M. Dutilh répondra, que dès le lendemain de ma première expérience qui fut faite le 9 juillet 1752 avec la barre de M. Franklin, ainsi qu’il paraît par ma lettre du 12, je lui confiai, sous le sceau du secret, l’idée que j’avais d’employer le cerf-volant aux expériences de l’électricité du tonnerre ; qu’il se chargea de construire tout de suite cette machine, afin de la mettre à l’épreuve avant que la saison des orages ne

  1. Voir p. 395, tome II des Mémoires présentés à l’Académie royale des sciences de Paris par des savants étrangers.