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Ne s’étant pas muni d’un excitateur ou d’un instrument analogue, il s’exposait aux plus graves périls en tirant simplement avec le doigt, des étincelles de la clef suspendue à la corde du cerf-volant.

En un mot, Franklin aurait infailliblement éprouvé un échec, si la pluie, qui n’entrait pas dans ses calculs, n’était arrivée pour faire réussir des dispositions, très-vicieuses en fait.

Combien l’expérience de Franklin pâlit quand on la compare à celle du physicien de Nérac ! Quelle différence dans les préparatifs, dans l’exécution, dans les résultats ! Romas prépare son expérience avec le soin, l’habileté, la prudence, d’un physicien consommé. Il a compris d’avance les dangers qui vont l’assaillir, et il a pris les plus sages mesures pour préserver sa vie et celle des personnes qui l’environnent. Confiant dans les mesures qu’il a calculées, au lieu de se cacher pour éviter le ridicule d’un échec, il opère en présence de tous ; il convie de nombreux assistants à venir admirer les merveilles qu’il a prédites.

Ainsi, le talent dans la disposition de l’expérience, la sagacité qui préside à son exécution, l’éclat admirable de ses résultats, tout est en faveur de notre compatriote, et, sous ce rapport, on peut le dire hardiment, l’expérience du physicien français est cent fois au-dessus de celle de Franklin.

Il nous reste à prouver que le physicien de Nérac n’avait nullement, comme on l’a dit constamment jusqu’à ce jour, emprunté à Franklin l’idée du cerf-volant électrique. Cette opinion, profondément inexacte, qui fait de Romas l’imitateur, le simple copiste de Franklin, dans l’expérience du cerf-volant, fut introduite dans l’histoire par Priestley, le partisan enthousiaste de Franklin, le défenseur, toujours partial, des travaux des physiciens qui appartiennent, de près ou de loin, à l’Angleterre. Les assertions contenues dans l’Histoire de l’électricité de Priestley, ont été reproduites, sans contrôle et sans critique, par tous les auteurs qui ont tracé, avec plus ou moins de soin, l’historique de l’électricité. Ainsi s’est établie et propagée l’erreur que nous combattons.

On admet généralement aujourd’hui, et l’on répète uniformément dans tous les ouvrages de physique et de météorologie, que, tandis que Dalibard expérimentait en France, Franklin, ignorant complétement ce qui venait de se passer en Europe, et fatigué d’attendre la construction du clocher de Philadelphie, imagina spontanément l’expérience du cerf-volant électrique. On fixe au 22 juin 1752 la date de son expérience du cerf-volant. On ajoute, sans autre explication, que la même expérience fut répétée en France, en 1753, par Romas, que l’on représente ainsi comme le simple imitateur de Franklin.

Écoutons, par exemple, M. Becquerel père, le physicien de nos jours le plus en crédit sur la matière qui nous occupe. Dans son Traité expérimental de l’électricité et du magnétisme, M. Becquerel, après avoir rappelé l’expérience de Dalibard à Marly, s’exprime en ces termes :

« Franklin ignorait qu’on eût fait cette expérience en France ; il attendait, pour la tenter, qu’un clocher qu’on élevait à Philadelphie fût terminé, afin d’y placer à une hauteur convenable la barre isolée qu’il se proposait d’employer ; mais il lui vint dans l’idée qu’un cerf-volant, qui dépasserait les édifices les plus élevés, remplirait bien mieux son but. En conséquence, il attacha, en juin 1752, les quatre coins d’un grand mouchoir de soie aux extrémités de deux baguettes de sapin placées en croix, auquel il ajusta les accessoires convenables, et en outre une pointe de métal. À l’approche d’un orage, il se rendit dans un champ, accompagné de son fils. Ayant lancé le cerf-volant, il attacha une clef à l’extrémité de la ficelle, puis un cordon de soie qu’il assujettit à un poteau, afin d’isoler l’appareil. Le premier signe d’électricité qu’il remarqua fut la divergence des filaments de chanvre qui avaient échappé à la torsion. Un nuage épais ayant passé au-dessus du cerf-volant, il tomba un peu de pluie, qui rendit la corde humide et donna écoulement à l’électricité. Ayant présenté le dos de la main à la clef, il en tira des étincelles brillantes et aiguës avec lesquelles il enflamma l’alcool et chargea des bouteilles de Leyde. C’est ainsi qu’une découverte importante que Franklin