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« M. Franklin, écrit Watson, a remis à la Société royale, il y a quinze jours, une assez belle expérience électrique, pour tirer l’électricité des nuées. Sur deux petits bâtons de bois croisés, d’une longueur convenable, faites étendre à ses angles un mouchoir de soie, dressez-le avec une queue et une corde de chanvre, etc., et vous aurez un cerf-volant des enfants. À l’extrémité d’un de ces petits bâtons, à l’autre bout duquel on attache la queue, il faut mettre un fil de fer d’un pied de longueur ; on se sert dans cette machine de soie, au lieu de papier, pour la garantir plus sûrement du vent et de la pluie. Quand on entend un orage de tonnerre (qui sont très-fréquents en Amérique), on fait monter, à l’ordinaire, ce cerf-volant moyennant du fil de chanvre, à l’extrémité duquel on attache un ruban de soie, que l’observateur empoigne, se retirant, pendant qu’il fait de la pluie, dans une maison, afin que ce ruban ne se mouille point. On devrait encore garder que le fil de chanvre ne touchât point les murs, ni les bois de la maison. Quand les nuées de tonnerre s’approchent de la machine, ce cerf-volant avec le fil de chanvre s’électrise, et les petits morceaux de chanvre s’étendent de tous côtés ; et en mettant une petite clef sur ce fil, vous tirez les étincelles ; mais lorsque la machine, le fil, etc., sont pleinement mouillés, l’électricité se conduit avec plus de facilité, et on peut voir les aigrettes de feu sortir abondamment de la clef, en approchant le doigt. De plus, de cette façon, on peut allumer l’eau-de-vie, et faire l’expérience de Leyde et tout autre expérience de l’électricité[1]. »

Cette lettre est bien laconique, et les éclaircissements qu’elle fournit sur l’expérience sont fort incomplets. Pour obtenir une description plus précise, nous sommes obligé de recourir aux Mémoires de Franklin, ou plutôt à la suite de ses Mémoires, composés par son fils, Guillaume Franklin, qui fut gouverneur de New-Jersey :

« Ce ne fut que dans l’été de 1752, écrit cet auteur, que Franklin put démontrer efficacement sa grande découverte. La méthode qu’il avait d’abord proposée était de placer sur une haute tour, ou sur quelque autre édifice élevé, une guérite au-dessus de laquelle serait une pointe de fer isolée, c’est-à-dire plantée dans un gâteau de résine. Il pensait que les nuages électriques qui passeraient au-dessus de cette pointe lui communiqueraient une partie de leur électricité, ce qui deviendrait sensible par les étincelles qui en partiraient toutes les fois qu’on en approcherait une clef, la jointure du doigt ou quelque autre conducteur.

« Philadelphie n’offrait alors aucun moyen de faire une pareille expérience ; tandis que Franklin attendait impatiemment qu’on y élevât une pyramide, il lui vint dans l’idée qu’il pourrait avoir un accès bien plus prompt dans la région des nuages par le moyen d’un cerf-volant ordinaire que par une pyramide. Il en fit un en étendant sur deux bâtons croisés un morceau de soie, qui pouvait mieux résister à la pluie que du papier. Il garnit d’une pointe de fer le bâton qui était verticalement posé. La corde était de chanvre, comme à l’ordinaire, et Franklin en noua le bout à un cordon de soie qu’il tenait dans sa main. Il y avait une petite clef attachée à l’endroit où la corde de chanvre se terminait.

« Aux premières approches d’un orage, Franklin se rendit dans les prairies qui sont aux environs de Philadelphie. Il était avec son fils, à qui seul il avait fait part de son projet, parce qu’il craignait le ridicule qui, trop communément pour l’intérêt des sciences, accompagne les expériences qui ne réussissent pas. Il se mit sous un hangar, pour être à l’abri de la pluie. Son cerf-volant étant en l’air, un nuage orageux passa au-dessus ; mais aucun signe d’électricité ne se manifestait encore. Franklin commençait à désespérer du succès de sa tentative, quand tout à coup il observa que quelques brins de la corde de chanvre s’écartaient l’un de l’autre et se roidissaient. Il présenta aussitôt son doigt fermé à la clef, et il en retira une forte étincelle. Quel dut être alors le plaisir qu’il ressentit ! De cette expérience dépendait le sort de sa théorie. Il savait que, s’il réussissait, son nom serait placé parmi les noms de ceux qui avaient agrandi le domaine des sciences ; mais que, s’il échouait, il serait inévitablement exposé au ridicule, ou, ce qui est encore pire, à la pitié qu’on a pour un homme qui, quoique bien intentionné, n’est qu’un faible et inepte fabricateur de projets.

« On peut donc aisément concevoir avec quelle anxiété il attendait le résultat de sa tentative. Le doute, le désespoir, avaient commencé à s’emparer de lui, quand le fait lui fut si bien démontré, que les plus incrédules n’auraient pu résister à l’évidence. Plusieurs étincelles suivirent la première. La bouteille de Leyde fut chargée, le choc reçu, et toutes les expériences qu’on a coutume de faire avec l’électricité furent renouvelées. »

D’après ce récit authentique, on voit que l’expérience de Franklin est loin de répondre à l’idée élevée qu’on a l’habitude d’en concevoir, sur la foi des innombrables éloges qu’elle a reçus jusqu’à nos jours. Quand on examine de près cette expérience, tant célébrée en prose et en vers, on s’aperçoit qu’elle donne lieu à bien des remarques. On voit surtout combien, dans la même circonstance,

  1. Bertholon, De l’électricité des météores, p. 54.