Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 1.djvu/534

Cette page a été validée par deux contributeurs.

d’écartement servait de mesure à l’intensité du fluide[1].

Le 6 août 1753, tandis que Richmann assistait à une réunion de l’Académie de Saint-Pétersbourg, un faible coup de tonnerre retentit dans le lointain. Aussitôt Richmann quitte sa place et se hâte de rentrer chez lui, pour observer sur son appareil les effets de l’orage qui s’approche. En même temps, il dépêche un employé de l’Académie chez le graveur Solokow, qui était chargé de dessiner et de graver une planche représentant son gnomon électrique destiné à accompagner le mémoire qu’il préparait sur ce sujet. Pour que le graveur fût mieux en état de bien représenter cet appareil, Richmann désirait le faire assister à ses expériences.

Lorsque Solokow se rendit dans la maison de Richmann, l’orage grondait avec violence sur Saint-Pétersbourg. En entrant dans le cabinet du physicien, il trouva ce dernier debout près du conducteur, son électromètre à la main, mais se tenant à une certaine distance, en raison de l’intensité de l’orage et de la force des étincelles qui partaient de la barre électrisée. Après l’entrée du graveur, Richmann fit, par mégarde, quelques pas en avant, et se trouva placé à un pied seulement du conducteur. Aussitôt un éclair, « sous la forme d’un globe de feu bleuâtre, gros comme le poing », dit Solokow, s’élança du conducteur, et vint frapper au front l’infortuné Richmann, qui tomba roide mort. La chambre se remplit en même temps d’une vapeur sulfureuse ; Solokow lui-même fut renversé par la violence du coup de foudre, mais il ne tarda pas à reprendre ses sens, sans pouvoir toutefois se rappeler avoir entendu le bruit de l’explosion.

Le petit conducteur métallique qui servait à transmettre le fluide à l’électromètre fut brisé en mille pièces ; on en trouva les morceaux dispersés sur les habits de Solokow. Le vase de verre qui faisait partie de l’électromètre ne fut brisé qu’à moitié, et la limaille de cuivre dispersée dans tout l’appartement. La porte était brisée et jetée dans l’intérieur ; le chambranle de cette porte était fendu.

Quand la femme du professeur, accourant à cette détonation, entra dans le cabinet, elle vit le malheureux martyr de l’électricité renversé sur une caisse qui se trouvait là, et tenant encore à la main les débris de l’appareil avec lequel il avait cru pouvoir estimer la force du météore électrique.

Terrible et majestueuse ironie de la nature, qui frappait d’un coup mortel le savant qui s’était flatté de mesurer sa puissance !

Le cadavre ayant été examiné par les gens de l’art, on trouva au front les traces d’une profonde brûlure ; deux autres apparaissaient au côté droit de la poitrine. Plusieurs taches, rouges et bleues, se montraient au côté gauche, comme si la peau eût été grillée. L’un des souliers présentait un large trou, ce qui semblait indiquer que le coup de foudre, entré par la tête, était sorti par les pieds. Le cœur était en bon état ; mais la partie postérieure du poumon était noirâtre et gorgée de sang ; le duodénum, l’intestin grêle et le pancréas étaient également le siége d’une forte congestion sanguine. Quant à Solokow, il se remit promptement, et ne conserva pas de trace de cet accident terrible ; seulement on remarquait sur le dos de son habit de longues raies étroites, comme si des fils de

  1. Dans son Précis historique et expérimental des phénomènes électriques, Sigaud de Lafond, qui a donné, d’après la lettre du graveur Solokow, adressée à la Société royale de Londres, et le témoignage du comte de Strogonoff, la relation la plus exacte et la plus complète de la mort de Richmann, décrit ainsi l’espèce d’électromètre dont Richmann voulait faire usage :

    « Ce gnomon était fait d’une baguette de métal, qui aboutissait à un petit vase de verre, dans lequel M. Richmann mettait, sans qu’on puisse en deviner la raison, un peu de limaille de cuivre. Au haut de cette baguette était attaché un fil qui pendait le long de la baguette quand elle n’était point électrisée ; mais dès qu’elle l’était, il s’en éloignait à une certaine distance, et formait conséquemment un angle à l’endroit où il était attaché. Pour mesurer cet angle, il avait un quart de cercle attaché au bout de la baguette de fer. » (P. 355.)