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l’électricité existant à la surface d’un corps.

Les observations faites par Franklin sur cet important sujet, sont exposées dans sa Deuxième lettre à Collinson. Nous les citerons textuellement :

« Je vous ai appris dans ma dernière lettre, dit Franklin, qu’en continuant nos recherches électriques, nous avions observé quelques phénomènes singuliers, que nous avons regardés comme nouveaux : je me suis engagé à vous en rendre compte, quoique j’appréhende qu’ils n’aient pas pour vous le mérite de la nouveauté. Tant de personnes ont travaillé dans votre pays sur les expériences électriques, que quelqu’un se sera probablement rencontré avec nous sur les mêmes observations.

« Le premier phénomène est l’étonnant effet des corps pointus, tant pour tirer que pour pousser le feu électrique.

« Placez un boulet de fer de trois ou quatre pouces de diamètre sur l’orifice d’une bouteille de verre bien nette et bien sèche : par un fil de soie attaché au lambris précisément au-dessus de l’orifice de la bouteille, suspendez une petite boule de liége environ de la grosseur d’une balle de mousquet ; que le fil soit de longueur convenable pour que la boule de liége vienne s’arrêter à côté du boulet. Électrisez le boulet, et le liége sera repoussé à la distance de quatre ou cinq pouces, plus ou moins, suivant la quantité d’électricité… Dans cet état, si vous présentez au boulet la pointe d’un poinçon long et délié, à six ou huit pouces de distance, la répulsion sera détruite sur-le-champ, et le liége volera vers le boulet. Pour qu’un corps émoussé produise le même effet, il faut qu’il soit approché à un pouce de distance et qu’il tire une étincelle. Afin de prouver que le feu électrique est tiré par la pointe, si vous ôtez de son manche le côté aplati du poinçon et que vous le fixiez sur un bâton de cire à cacheter, vous présenterez en vain le poinçon à la même distance, ou l’approcherez encore de plus près, le même effet n’en résultera point. Mais glissez le doigt le long de la cire, jusqu’à ce que vous touchiez le côté aplati, le liége alors volera sur-le-champ vers le boulet… Si vous présentez cette pointe dans l’obscurité, vous y verrez quelquefois à un pied de distance et plus, une lumière brillante, semblable à un feu follet ou à un ver luisant. Moins la pointe est aiguë, plus il faut l’approcher pour apercevoir la lumière, et à quelque distance que vous voyiez la lumière, vous pouvez tirer le feu électrique et détruire la répulsion… Si une boule de liége ainsi suspendue est repoussée par le tube et que la pointe lui soit brusquement présentée, même à une distance considérable, vous serez étonné de voir avec quelle rapidité le liége revole vers le tube. Des pointes de bois feraient le même effet que celles de fer, pourvu que le bois ne fût pas sec ; car un bois parfaitement sec n’est pas meilleur conducteur d’électricité que la cire d’Espagne.

« Pour montrer que les pointes poussent aussi bien qu’elles tirent le feu électrique, couchez une longue aiguille pointue sur le boulet, et vous ne pourrez assez électriser le boulet pour lui faire repousser la boule de liége… ou bien, faites tenir à l’extrémité d’un canon de fusil suspendu, ou d’une verge de fer, une aiguille qui pointe en avant comme une espèce de petite baïonnette ; dans cet état, le canon de fusil ou la verge ne saurait, par l’application du tube à l’autre extrémité, être électrisé au point de donner une étincelle ; le feu, courant continuellement, s’échappe en silence à la pointe. Dans l’obscurité, vous pouvez lui voir produire le même effet que dans le cas dont nous venons de parler[1]. »

Le physicien de Philadelphie se mit inutilement en frais de méditations pour découvrir la cause du pouvoir des pointes. Il hasarda, à ce sujet, une théorie ; mais il avoue ingénument qu’il en était médiocrement satisfait. Il essaya d’expliquer cet effet « en supposant que la base sur laquelle pesait le fluide électrique à la pointe d’un corps électrisé étant petite, l’attraction par laquelle le fluide était tiré vers le corps était légère ; et que, par la même raison, la résistance à l’entrée du fluide était à proportion plus faible en cet endroit que là où la surface était plate ».

Franklin n’avait pas tort de n’accorder qu’une faible confiance à son explication. Mais si cette théorie était mauvaise, l’application qu’il tira du fait était d’une tout autre portée. Après avoir constaté la propriété dont jouit un conducteur terminé en pointe, d’anéantir, par son approche, l’état électrique des corps, le physicien américain songea tout aussitôt à tirer parti de cette propriété, en se servant d’un corps conducteur pointu dressé en l’air pour enlever l’électricité aux nuages orageux, si toutefois la foudre était réellement un phénomène électrique.

Pour la netteté de cet exposé historique, il sera nécessaire de rapporter ici les termes

  1. Œuvres de Franklin, traduites par M. Barbeu-Dubourg, in-4o, t. Ier, p. 3-5.