Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 1.djvu/506

Cette page a été validée par deux contributeurs.

nous occupe. Ce poëte prétend qu’un aruspice d’Étrurie, nommé Aruns, également versé dans la connaissance des mouvements du tonnerre et dans l’art divin d’interroger les entrailles des victimes et le vol des oiseaux,

Fulminis edoctus motus, venasque calentes
Fibrarum et monitus errantis in aera pennæ,


savait rassembler les feux de la foudre épars dans le ciel et les enfouir dans la terre[1].

M. H. Martin, dans une très-savante dissertation sur la prétendue science des prêtres étrusques, a dévoilé le charlatanisme de ces prêtres, qui n’avaient d’autre but que d’en imposer à la multitude, aux personnages et aux chefs d’État qui faisaient appel à leurs prédictions ou à leurs prodiges.

« Il est vrai, dit M. H. Martin, que les Étrusques prétendaient enterrer la foudre ; mais il est constant que leur procédé consistait à enterrer avec certaines cérémonies, les débris des objets qu’elle avait frappés. Non-seulement aucun fait ne prouve qu’ils aient eu le pouvoir de la faire tomber ou de la diriger ; mais, comme nous l’avons vu, il n’est pas même certain que les anciens Étrusques en aient eu la prétention, et les textes d’où on a voulu le conclure ne parlent que de sacrifices et de cérémonies superstitieuses. Quant à des procédés efficaces employés par les Étrusques pour écarter la foudre, il n’y en a pas de traces. M. Ideler admet que leurs Livres rituels pouvaient contenir pour cela quelques recettes. C’est possible, mais rien ne le prouve. Ce qu’il y a de certain, c’est que le contenu des Livres rituels et des autres ouvrages étrusques était parfaitement connu des Romains, qui ne connaissaient contre la foudre que des préservatifs absurdes, et que, par conséquent, ceux des Étrusques, s’ils en avaient, et dans quelque ouvrage qu’ils les eussent consignés, n’étaient pas meilleurs[2]. »

Un érudit, membre de l’Académie du Gard, M. La Boëssière, a publié en 1822 un curieux mémoire qui traite des Connaissances des anciens dans l’art d’évoquer et d’absorber la foudre[3]. M. La Boëssière rappelle dans ce mémoire, l’existence de plusieurs médailles qui paraissent se rapporter à son sujet. L’une, décrite par Duchoul, représente le temple de Junon, déesse de l’air : la toiture qui recouvre cet édifice est armée de tiges pointues. L’autre médaille, décrite et gravée par Pellerin, porte pour légende : Jupiter Elicius ; le dieu y paraît la foudre en main ; en bas est un homme qui dirige un cerf-volant. Cette dernière médaille présenterait une coïncidence et un rapprochement fort singuliers avec le cerf-volant électrique de Franklin et de Romas. Mais hâtons-nous d’ajouter qu’elle a été reconnue non authentique.

Dans son ouvrage sur la Religion des Romains, Duchoul cite d’autres médailles qui présentent l’exergue : XV Viri sacris faciundis[4]. On y voit un poisson hérissé de pointes, placé sur un globe ou sur une coupe. M. La Boëssière pense qu’un poisson ou un globe, ainsi armé de pointes, fut le conducteur employé par Numa pour soutirer des nuages le feu électrique, et rapprochant la figure de ce globe de celle d’une tête couverte de cheveux hérissés, il donne une explication ingénieuse du singulier dialogue de Numa avec Jupiter, dialogue rapporté par Valérius Antias, et tourné en ridicule par Arnobe[5], sans que probablement ni l’un ni l’autre le comprît.

  1. Dumque illi effusam, longis anfractibus, urbem
    Circumeunt, Aruns dispersos fulminis ignes
    Colligit, et terræ, mœsto cum murmure, condit,
    Datque locis numen.

    « Pendant que cette procession (le cortége des aruspices et des autres prêtres convoqués pour une cérémonie religieuse, en vue de malheurs qui semblent menacer l’Étrurie) fait, avec de grands circuits, le tour de la ville, dont les habitants se pressent sur les pas du cortége, Aruns rassemble les feux dispersés de la foudre et les engouffre dans la terre avec un bruit sinistre. Les lieux sont ainsi consacrés. » (Lucani Pharsala, lib. I, vers. 606.)

  2. H. Martin : La foudre, l’électricité et le magnétisme chez les anciens, in-18, pp. 377, 378.
  3. Notice sur les travaux de l’Académie du Gard de 1812 à 1821. Nîmes, 1822, 1re partie, p. 304-319. Le Mémoire de M. La Boëssière, lu en 1811, à l’Académie du Gard, n’a été publié qu’en 1822.
  4. C’étaient les quindecemvirs ou les quinze prêtres préposés aux cérémonies.
  5. Arnob., lib. V.