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veloppements les mêmes faits allégués par Pline :

« On rapporte, dit Tite-Live, que ce prince en feuilletant les Mémoires laissés par Numa, y trouva quelques renseignements sur les sacrifices secrets offerts à Jupiter Elicius. Il essaya de les répéter, mais dans les préparatifs ou dans la célébration il s’écarta du rite sacré… En butte au courroux de Jupiter évoqué par une cérémonie défectueuse (sollicitati prava religione), il fut frappé de la foudre et consumé ainsi que son palais[1]. »

Ces diverses citations ne prouvent nullement que Numa et Tullus Hostilius aient connu l’art de conjurer la foudre.

Dans l’ouvrage que nous avons déjà cité, La foudre, l’électricité et le magnétisme chez les anciens, M. Th. H. Martin a soumis à un examen approfondi ces allégations prétendues historiques, et qui ne sont que des fables ou de fausses interprétations. Il montre avec évidence qu’il faut entendre le mot évocation de la foudre, que les commentateurs ont mis en avant par une simple évocation de Jupiter.

Sans reproduire la discussion à laquelle se livre M. H. Martin sur ce point, nous rapporterons la conclusion qu’il en tire :

« Que faut-il conclure, dit M. H. Martin, de la comparaison de tous ces textes ? C’est que, suivant la tradition et les vieux annalistes de Rome, Numa avait évoqué non pas la foudre, mais Jupiter, et que par cette évocation prétendue il avait prêté une autorité divine aux cérémonies expiatoires que le Dieu était supposé lui avoir révélées ; c’est que, suivant les mêmes auteurs, la fin tragique de Tullus Hostilius, mort dans un incendie causé par la foudre, était la punition de la manière irrégulière dont il avait procédé dans une évocation de Jupiter, et non dans une expérience sur la foudre ; c’est que L. Pison avait respecté ici la tradition primitive, suivie aussi par Valérius d’Antium, par Ovide et par Plutarque, mais que Pline et Servius, empruntant aux stoïciens grecs et romains les excès de l’interprétation allégorique de la mythologie, excès aussi éloignés de la vérité que ceux de l’interprétation prétendue historique d’Évhémère, ont cru faire preuve de sagacité en substituant dans cette fable antique, le nom de la foudre à celui de Jupiter. Nous avons vu que cette interprétation, incompatible avec le récit détaillé de Valérius et d’Ovide, avait tenté aussi Tite-Live, mais qu’il l’avait abandonnée dans son récit de la mort de Tullus Hostilius.

« Appien, Valère Maxime (IX, 12) et Eutrope se bornent à dire que ce roi fut foudroyé et brûlé avec sa maison. Denys d’Halicarnasse dit d’abord que Tullus Hostilius périt dans un incendie avec sa famille ; puis il ajoute que suivant quelques auteurs cet incendie avait été allumé par la foudre, parce que Tullus avait irrité Jupiter en négligeant quelques sacrifices usités à Rome et en introduisant au contraire des cérémonies étrangères, mais que suivant la plupart des auteurs il mourut victime d’un attentat attribué à son successeur Ancus Martius.

« En résumé, le rôle de Numa offre beaucoup d’analogie avec le rôle religieux du thaumaturge Épiménide chez les Grecs, et il n’en offre aucune avec le rôle scientifique de Franklin ; quant à la fin tragique de Tullus Hostilius, que tant d’autres modernes, depuis Dutens jusqu’à M. J.-J. Ampère, ont comparée bien à tort à celle du physicien Richmann, elle y fut probablement analogue à celle de Romulus que les sénateurs, las de lui sur la terre, envoyèrent au ciel ; ces deux crimes furent dissimulés chacun sous une légende merveilleuse ; mais Tullus Hostilius n’eut pas d’apothéose comme Romulus. Voilà ce qu’on peut entrevoir de plus probable sur la mort de ce roi, au milieu des ténèbres qui couvrent ces premiers temps de Rome[2]. »

Suivant Ovide et Denys d’Halicarnasse, Romulus, onzième roi des Albains (Sylvius Alladas), aurait trouvé, même avant Numa et Tullus Hostilius, le moyen de contrefaire le tonnerre et les éclairs. Eusèbe prétend que ce moyen consistait en une simple manœuvre, par laquelle ses soldats frappaient tous à la fois leurs boucliers de leurs épées[3], manière assez ridicule, il nous semble, d’imiter la foudre. Les dieux cependant prirent à cœur cette usurpation, ou pour mieux dire cette contrefaçon de leurs armes ordinaires, et le roi d’Albe tomba sous leur tonnerre vengeur.

Fulmineo periit imitator fulminis ictu[4].


« En imitant la foudre il périt foudroyé. »

On trouve dans la Pharsale de Lucain un passage très-curieux, relatif au sujet qui

  1. Tite-Live, liv. I, chap. xxxi.
  2. H. Martin, La foudre, l’électricité et le magnétisme chez les anciens, in-18, pages 347-349.
  3. Euseb., Chronic. Canon., lib. I, cap. xlv-xlvi.
  4. Ovid. Metamorphos., lib. XIV, v. 617 ; Fast., lib. IV, v. 90. — Dionys. Halic., lib. I, cap. xv.