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cercle, toutes les personnes ressentirent le choc électrique sans que le fluide parût aucunement détourné par le sol ni par l’eau.

Lemonnier répéta la même expérience en employant, au lieu de chaînes, un fil de fer long de près d’une lieue. Une partie de ce fil de fer traversait un pré, dont l’herbe était mouillée par la rosée ; une autre était portée sur une palissade de charmille et s’enroulait autour de plusieurs arbres, enfin une partie assez considérable traînait dans une terre nouvellement labourée : malgré tous ces obstacles, l’électricité passa le long du fil de fer, et excita une commotion violente dans les bras d’une personne placée à l’extrémité de la chaîne.

« Voyant, dit Lemonnier, que l’électricité passait avec tant de liberté au travers des hommes et des métaux, lors même qu’ils n’étaient pas portés sur des corps électriques de leur nature, je crus qu’il serait fort possible d’électriser aussi une grande masse d’eau. J’en fis d’abord l’expérience dans un baquet, que je remplis entièrement ; je pris de la main droite une bouteille bien électrisée, dont j’avais eu soin de recourber le fil de fer ; je plongeai le doigt de la main gauche dans l’eau du baquet, et je plongeai ensuite l’extrémité recourbée du fil de fer précisément vis-à-vis de l’endroit où j’avais le doigt de la main gauche. Je pris garde à ce que ni mon doigt ni le fil de fer ne touchassent au bord du baquet ; aussitôt je ressentis le coup dans les bras et dans la poitrine, comme dans l’expérience de Leyde.

« J’ai répété ensuite cette expérience sur le bassin du Jardin du Roi et sur celui des Tuileries. J’étendis par terre une chaîne de fer le long de la demi-circonférence de ces bassins, et je pris garde à ce que cette chaîne ne trempât pas dans l’eau. Proche d’une de ses extrémités, je fis flotter une broche de fer fixée verticalement à un large morceau de liége, de manière que cette broche, traversant le liége, s’enfonçait d’un pouce ou deux au-dessous de la superficie de l’eau ; un observateur se plaça à l’autre extrémité de la chaîne, la prit dans sa main gauche et plongea la main droite dans l’eau ; je pris aussi d’une main l’autre extrémité de la chaîne et une bouteille électrisée de l’autre ; je l’approchai de la broche de fer qui flottait sur l’eau : aussitôt l’électricité passa au travers de l’eau du bassin, et nous ressentîmes chacun un coup dans les deux bras.

« Quoique cette expérience n’eût rien qui ne s’accordât à merveille avec la petite théorie de la ligne qui unit le fil de fer et le corps de la bouteille, j’avoue que j’eus de la peine à croire que cette masse d’eau fût réellement devenue électrique ; je croyais plutôt que la commotion que nous avions ressentie venait de ce que notre électricité se perdait dans l’eau, comme celle d’un homme qui est porté sur des gâteaux de résine se perd lorsqu’on fait sortir des étincelles de son corps, sans que celui qui les tire devienne pour cela électrique ; mais l’expérience suivante, que j’ai faite exprès pour m’en éclaircir, ne me permit pas de douter que l’eau du bassin n’eût réellement reçu et transmis l’électricité.

« Je pris deux baquets pleins d’eau, que j’éloignai l’un de l’autre d’environ quatre pieds ; je fis mettre entre eux une personne qui plongeait une main dans chacun des baquets. Je mis aussi un doigt dans l’un, et je présentai le fil d’une bouteille électrisée à un morceau de fer qui nageait sur un liége dans l’autre baquet ; aussitôt il se fit une explosion, et la personne qui avait les deux mains plongées dans l’eau ressentit la commotion dans les coudes comme à l’ordinaire. Or, puisque cette personne a ressenti la commotion, il est évident que l’eau a réellement été électrisée, et partant que l’électricité a aussi passé, au travers de l’eau du bassin des Tuileries, dans l’expérience que j’ai rapportée tout à l’heure.

« Il est donc constant que la matière électrique qui s’élance de la bouteille passe très-librement au travers des corps non électriques, même sans qu’ils soient portés sur ceux qui ont cette propriété de leur nature, et qu’elle se manifeste dans ces corps d’une manière très-sensible[1]. »

Lemonnier essaya ensuite d’estimer la vitesse de propagation du fluide électrique. À l’aide d’excellentes montres à secondes, il s’efforça de reconnaître si l’on pouvait saisir un intervalle de temps appréciable entre le moment de la décharge d’une bouteille de Leyde et celui de la commotion éprouvée par des personnes placées à une grande distance de l’appareil.

Ses premières expériences avec une montre à secondes, eurent lieu au Jardin des Plantes, au moyen de fils de fer d’une longueur de 200 et de 450 toises qui faisaient le tour des deux grandes allées du jardin. Mais Lemonnier ne put obtenir, en opérant ainsi, des résultats satisfaisants. Bien que l’électricité lui semblât avoir franchi la longueur

  1. Mémoires de mathématiques et de physique de l’Académie royale des sciences de Paris pour 1746, p. 450-452.