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celui qui m’a pensé donner la mort était d’un verre blanc et mince, et de cinq pouces de diamètre. La personne qui fait l’expérience peut être placée simplement sur le plancher ; mais il faut que ce soit la même qui tienne d’une main le vase, et qui, de l’autre main, excite l’étincelle ; l’effet est bien peu considérable si cela se fait par deux personnes séparées. Si l’on place le vase sur un support de métal porté sur une table de bois, en touchant ce métal seulement du bout du doigt et tirant l’étincelle avec l’autre main, on ressent un très-grand coup[1]. »

Allaman, qui avait assisté à l’expérience de Musschenbroek, ayant voulu la répéter, ressentit une impression tout aussi forte, bien qu’il ne se fût servi que d’un verre à bière rempli d’eau, vase d’une capacité nécessairement médiocre. En communiquant ce résultat à l’abbé Nollet : « Vous ressentirez, lui dit-il, un coup prodigieux, qui frappera tout votre bras, et même tout votre corps : c’est un coup de foudre. La première fois que j’en fis l’épreuve, j’en fus étourdi au point que je perdis pour quelques moments la respiration[2]. »

Ces récits sont encore dépassés par celui que donna le professeur Winckler des sensations qu’il éprouva en répétant cette expérience. Winckler assure que, lorsqu’il se soumit pour la première fois à la commotion électrique, il fut pris de convulsions dans tout le corps. Il se sentait la tête aussi pesante que s’il eût porté une pierre dessus, et il eut le sang tellement agité, qu’il craignit d’être attaqué d’une fièvre chaude. Il ajoute qu’il se crut obligé, pour la prévenir, « d’avoir recours à des remèdes rafraîchissants ».

Il paraîtra surprenant sans doute, qu’après avoir été tant maltraité, notre électricien ait eu le courage de revenir à la charge, et de s’exposer de nouveau à une si rude secousse. Mais où n’entraîne pas l’insatiable curiosité du savant ? Winckler répéta encore ce périlleux essai, qui lui occasionna deux fois une hémorrhagie nasale.

La femme du professeur, qui, sans doute, avait reçu tout à la fois en partage et la curiosité de son sexe et le courage du nôtre, voulut aussi s’exposer au choc électrique. Elle en fut si violemment frappée, qu’elle demeura huit jours ayant à peine la force de se mouvoir. Au bout de ce temps, la curiosité l’emportant sur la crainte, elle brava un deuxième choc, qui ne lui occasionna cette fois qu’un saignement de nez, touchante identité de symptômes avec ceux que venait d’éprouver son docte époux.

À peine les physiciens de Paris furent-ils instruits de l’étonnant phénomène qui venait de se révéler en Allemagne, qu’ils se mirent en devoir de le reproduire. L’abbé Nollet répéta le premier l’expérience de Leyde.

Une seule circonstance arrêtait l’impatience de ce physicien. Comme on l’a vu dans sa lettre rapportée plus haut, Musschenbroek, en décrivant son expérience, recommandait expressément d’employer une bouteille de verre d’Allemagne, et non d’ailleurs. Or, il n’était pas facile de se procurer à Paris, du jour au lendemain, du verre d’Allemagne. Celui de Hollande même, était proscrit par Musschenbroek. En désespoir de cause, Nollet se décida à essayer l’expérience avec du verre ordinaire de France, c’est-à-dire avec un simple flacon de son laboratoire. Toutefois, d’après l’assertion de Musschenbroek, il comptait peu sur le résultat, et il n’opérait que par manière d’acquit.

Le vase dont il faisait si peu de cas le servit, on peut le dire, fort au delà de ses désirs, si bien que notre expérimentateur eût peut-être souhaité que le verre de France fût un peu moins propre à l’expérience de Leyde. Il éprouva, en effet, un terrible choc.

« Je ressentis, nous dit-il, jusque dans la poitrine et dans les entrailles une commotion qui me fit involontairement plier le corps et ouvrir la bouche, comme il arrive dans les accidents où la respiration est coupée ; le doigt index de ma main droite, qui

  1. Mémoires de mathématique et de physique de l’Académie des sciences de Paris, pour 1746, p. 3.
  2. Ibid.