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pour suivre jusqu’à des temps voisins de notre époque, la série des découvertes postérieures qui ont révélé dans le fluide électrique tant de propriétés remarquables, et qui, de nos jours, sont devenues la source d’un nombre infini d’applications.

On dit, et l’on répète depuis bien longtemps, que la découverte des premiers phénomènes électriques appartient aux anciens. Ce fait, que l’ambre jaune, après avoir été frotté, attire vivement tous les corps légers et secs, était connu dans l’antiquité. Personne n’ignore que c’est du mot grec ἤλεϰτρον (ambre jaune) que la science de l’électricité a tiré son nom. Mais toutes les connaissances des anciens sur l’électricité, se sont réduites à la simple notion de ce fait. Thalès, philosophe grec, qui vivait environ 600 ans avant Jésus-Christ, signala l’existence de ce phénomène dont il donna une explication à la manière antique. Selon ce philosophe, l’ambre était doué d’une âme, et il attirait à soi les corps légers « comme par un souffle[1] ».

Venu 600 ans après Thalès, le naturaliste Pline n’en dit pas davantage sur le même sujet : « Quand le frottement a donné à ce corps la chaleur et la vie, il attire les pailles et les feuilles d’arbre d’un faible poids. » Avant lui, Théophraste, dans son Traité des pierres précieuses, s’était borné également, à une simple mention de cette propriété attractive, qu’il avait reconnue, pourtant, à quelques autres corps, tels que le lyncurium, substance que l’on croit identique avec notre tourmaline.

Voilà, en ce qui concerne les phénomènes électriques, tout l’héritage que l’antiquité nous a laissé. On avait reconnu le phénomène fort simple, que présente l’ambre frotté ; on déclara que l’ambre avait une âme, et tout fut dit[2].

Chez les anciens, la philosophie, l’éducation et les mœurs, éloignaient l’idée des sciences, telles que nous les comprenons aujourd’hui. Il serait donc impossible d’aller placer dans l’antiquité, l’origine de nos connaissances physiques. Au lieu de se consacrer à l’étude, à l’observation de la nature, afin de s’éclairer sur les lois qui régissent l’univers, les anciens préféraient se perdre dans la contemplation de l’idéal. Ils fermaient volontairement les yeux au spectacle admirable du monde extérieur, pour débattre compendieusement des questions abstraites et souvent oiseuses. Quant à observer le plus simple des phénomènes naturels, pour essayer de remonter à sa cause, cette idée ne pouvait se présenter à l’esprit d’un peuple qui allait apprendre, le plus sérieusement du monde, dans les vers de ses poëtes ou de la bouche des personnages du théâtre, que les abeilles naissent du corps putréfié d’un bœuf, et que l’ambre provient de l’incrustation des larmes d’un oiseau de l’Inde, pleurant la mort du roi Méléagre !

L’esprit scientifique ne pouvait pas beaucoup plus facilement prendre naissance et se développer à l’époque du Moyen âge. La scolastique, trônant dans les écoles, courbait toutes les intelligences sous le joug d’Aristote, c’est-à-dire sous l’empire de l’antiquité. Au lieu de porter les esprits vers l’étude des choses, elle renfermait la science entière dans l’étude et le stérile commentaire des mots.

Les principes du christianisme tendaient, dans un certain sens, au même résultat, car le mépris des choses terrestres, prêché par l’Église chrétienne, avait engendré une philosophie qui détournait les hommes de l’étude minutieuse des faits physiques.

  1. Diogène Laërce, Vies des plus illustres philosophes de l’antiquité traduites du grec. Tome Ier, page 15 (Thalès), in-18, Amsterdam, 1761.
  2. Pour connaître l’histoire des très-vagues et très-imparfaites connaissances des anciens sur les phénomènes d’attraction qu’exercent certains corps quand ils sont frottés, il faut consulter une collection de mémoires très-érudits de M. Th. H. Martin, doyen de la faculté des lettres de Rennes, publiés en 1866, sous ce titre général : La foudre, l’électricité et le magnétisme chez les anciens. Le mémoire sur le succin (pages 94-138), et celui sur les attractions électriques (pages 138-151), contiennent tous les textes des auteurs anciens qui peuvent être invoqués sur cette question.