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Ainsi cette ridicule invention, chassée de l’histoire par les efforts d’écrivains sérieux, y rentrait par l’éloquence d’un discours sénatorial : verba togata. Il nous paraît utile de mettre en lumière cette erreur d’un de nos grands personnages, car elle montre quelles profondes racines a poussées dans tous les esprits la légende moderne de Salomon de Caus[1].

La croyance à cette légende a été longtemps si forte, si universelle, qu’en 1847, l’auteur lui-même de cette mystification, M. Henry Berthoud, eut à soutenir à ce sujet, une lutte fort plaisante avec le journal la Démocratie pacifique, qui prétendait défendre envers et contre tous l’authenticité de la lettre de Marion Delorme. Ce phalanstérien entêté soutenait avoir vu l’original de la lettre. C’est alors que le coupable crut devoir confesser sa faute. En d’autres termes, M. H. Berthoud, pour réduire au silence son adversaire, se déclara l’auteur de cette « mystification innocente ».

Nous ne saurions mieux terminer ce chapitre qu’en citant une lettre de M. Ch. Read, qui complétera ce qui précède. Voici cette lettre, qui a paru dans le journal le Constitutionnel du 3 juillet 1864 :

« Par suite d’une fable ridicule inventée, il y a trente ans, par M. Henry Berthoud, et que le pinceau, le burin, le drame ont accréditée, une foule de gens croient fermement que Salomon de Caus a été une des victimes du cardinal de Richelieu, et qu’il est mort fou dans un cabanon de Bicêtre, en 1641. Un heureux hasard m’a fait découvrir, il y a quelque temps, dans la poussière du greffe de l’état civil, la preuve palpable de ce mensonge historique. Salomon de Caus, qui était huguenot, est mort à Paris, en fonctions d’ingénieur du roi, en 1626, et a été enterré le 28 février, au cimetière de la Trinité, à l’issue du passage Basfour, à l’endroit même où passe aujourd’hui la rue de Palestro. Au lieu d’être persécuté par Richelieu jusqu’à en devenir fou, l’auteur des Raisons des forces mouvantes paraît avoir éprouvé sa bienveillance, et il lui a dédié, en 1624, son traité des Horloges solaires.

« Trois ans plus tôt, en 1621, il avait proposé au roi Louis XIII « de donner ordre au nettoyement des boues et immondices » de sa bonne ville de Paris et aux faubourgs, « afin de la tenir plus nette que par le passé », et cela par un système d’élévation d’eau et de fontaines qu’il se chargeait d’établir sur différens points indiqués. Le roi en son conseil renvoya la proposition au prévôt des marchands, et voici la délibération qui fut prise à ce sujet par le conseil de ville, telle que je l’ai relevée sur la minute même aux archives de l’État :

délibérations du bureau de la ville de paris pour l’an 1621.

« Le prévôt des marchans et eschevins de la ville de Paris, qui ont veu les mémoires et propositions présentés au Roy et à nos seigneurs de son Conseil par Salomom de Caulx, ingénieur de Sa Majesté, affin de luy estre faict bail, pour quarante ans, du nettoyement des boues de cette ville, moyennant la somme de soixante mil livres tournoys par an, qui est le prix que l’on en donne à présent, et vingt mil livres, aussi par an, de récompense ; en quoy faysant, il s’oblige de faire à ses frais et despens une eslévation de quarante poulces d’eaue à prendre dans la rivière, et la faire conduire en plusieurs endroits de la ville, sçavoir dans trois mois au cimetière Saint Jehan, trois mois après dans la rue Saint-Martin, trois mois après dans la rue Saint-Denys, et dans trois autres mois après dans la rue Saint-Honoré ; les dicts mémoires à nous renvoyés par nos dits seigneurs du Conseil, pour en donner avis à Sa Majesté.

« Remontrent à Sa Majesté et à nos dits seigneurs du conseil, qu’il est très-nécessaire de donner ordre au nettoyement des boues et immondices de cette dite ville et faulx bourgs, et rechercher touttes sortes d’inventions pour la tenir plus nette que par le passé ; et à ceste fin sont d’avis, sauf le bon plaisir de Sa Majesté et de nosdits seigneurs du Conseil, d’entendre aux propositions dudit de Caulx, à charge expresse de faire à ses frais et despens des fontaines publiques par voyes en certains lieux de ceste dite ville, par où il fera passer lesdits quarente poulces d’eaue, à sçavoir : à la rue Saint-Antoine, proche la rue Sainte-Catherine, dans le cimetière Saint-Jehan, à la croix Saint-Jacques-de-la-Boucherie, à la rue aux Hours, à la rue de l’Homme-Armé, en haut de la rue Neuve-Saint-Médéricq, une près les Billettes, une près Saint-Jacques-de-l’Hôpital, à la place aux Chats, à la rue de Thelisy, au pont Alix, au coing de la rue du Coq et de Saint-Thomas, et trois dans la cousture du Temple et terres voisines commencées à bastir, et une près du Temple et Saint

  1. On peut consulter sur ce qui précède les écrits et ouvrages suivants : L’Esprit dans l’histoire, par Éd. Fournier, page 263 ; — Comptes rendus de l’Académie des sciences, 1862, 2e semestre, page 134 (communication de M. Ch. Read) ; — Bulletin de la Société d’histoire du protestantisme français, 1862, pages 301-312 ; 1864, page 193 ; — enfin le journal l’Intermédiaire des chercheurs et curieux, 1865, pages 609 et 641.