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tionnent dans les usines ou sur les navires, leur invention est de beaucoup postérieure en date à ces dernières. Les bateaux à vapeur sillonnaient les fleuves dans les deux hémisphères, vingt ans avant que la circulation des voyageurs fût établie sur les chemins de fer.

Cette circonstance s’explique sans peine, si l’on considère les conditions spéciales auxquelles la machine à vapeur devait satisfaire pour servir à traîner sur la terre, les hommes et les fardeaux. Les seules machines à vapeur connues et employées dans l’industrie, jusqu’au commencement de notre siècle, furent les machines à condensation. Or, on ne pouvait songer à les appliquer aux transports sur les routes ; car l’énorme quantité d’eau employée au seul usage de la condensation de la vapeur, aurait surchargé la voiture au point de l’empêcher de se traîner elle-même. Il fallait, pour résoudre ce problème, posséder un appareil moteur présentant tout à la fois un poids très-faible, un volume médiocre et une puissance considérable. Les machines à haute pression pouvaient donc seules donner moyen d’appliquer la puissance de la vapeur à la locomotion terrestre.

Cependant cette vérité ne s’est pas toujours montrée tellement évidente, que quelques mécaniciens n’aient essayé de faire usage de la machine à vapeur à condenseur pour la locomotion terrestre. Mais ces tentatives méritent à peine un souvenir.

C’est ainsi qu’en 1759, le docteur Robinson, alors élève à l’université de Glasgow, s’était proposé d’appliquer la vapeur à faire tourner les roues des voitures ; et que James Watt, en 1784, donna, dans un de ses brevets, la description d’une machine à condensation applicable au même objet. Mais ces deux savants avaient l’un et l’autre une connaissance trop approfondie de ces questions pour ajouter aucune importance à une idée de ce genre. Ils ne tardèrent pas à abandonner leur projet.

Le premier mécanicien qui ait eu l’idée d’employer la vapeur à haute pression pour la locomotion terrestre, et qui, par cela même, mérite le titre d’inventeur des locomotives, est un Français, nommé Cugnot.

Joseph Cugnot, né à Void, en Lorraine, le 25 septembre 1725, avait vécu pendant toute sa jeunesse en Allemagne, où il servait en qualité d’ingénieur. Il passa ensuite dans les Pays-Bas, pour entrer au service du prince Charles. Un ouvrage sur les Fortifications de campagne, et un nouveau modèle de fusil, qui fut accueilli par le maréchal de Saxe, et adopté pour l’armement des hulans, lui valurent une certaine notoriété dans son art.

Encouragé par ces premiers succès, il s’occupa, à Bruxelles, de construire des chariots à vapeur, qu’il désignait sous le nom de fardiers à vapeur, et qu’il destinait au transport des canons et du matériel de l’artillerie. Il est à croire que si le chariot à vapeur ou le train d’artillerie à vapeur, eût donné de bons résultats, l’inventeur n’eût pas tardé à appliquer le même mécanisme à la traction des voitures et véhicules de tout genre.

Quoi qu’il en soit, Cugnot se rendit à Paris en 1763, pour y continuer ses recherches. Au bout de plusieurs années de travaux, il réussit à construire un modèle de voiture à vapeur qui fut soumis en 1769, à l’examen de Gribeauval. Un ancien rapport, retrouvé par M. le général Morin aux Archives de l’artillerie, établit d’une manière authentique, l’origine de la voiture de Cugnot. Voici un extrait de ce rapport :

« En 1769, un officier suisse, nommé Planta, proposa au ministre Choiseul plusieurs inventions, lesquelles, en cas de réussite, promettaient beaucoup d’utilité.

« Parmi ces inventions, il s’agissait d’une voiture mue par l’effet de la vapeur d’eau produite par le feu.

« Le général Gribeauval ayant été appelé pour examiner le prospectus de cette invention, et ayant reconnu qu’un nommé Cugnot, ancien ingénieur chez l’étranger et auteur de l’ouvrage intitulé Fortifications de campagne, s’occupait alors d’exécuter à Paris, une invention semblable, détermina l’officier suisse Planta à en faire lui-même l’examen.