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tait que l’écho des impressions, à peu près unanimes, des habitants de Philadelphie. Les résultats obtenus n’ayant pas répondu à l’attente générale, un grand revirement s’était opéré dans l’esprit de la population. Tout le monde abandonnait Fitch, qu’on avait d’abord applaudi et soutenu avec tant de passion.

D’ailleurs le second constructeur qui s’était présenté pour résoudre le même problème commençait à fixer l’attention, et à détourner ainsi les sympathies que Fitch avait éveillées un moment.

James Rumsey, qui avait fait en 1786 et 1787, des expériences sur la rivière de Potomac, était, en effet, devenu le compétiteur de Fitch. Il sollicitait du Congrès des États-Unis la faveur de partager le privilége qui avait été précédemment accordé à Fitch, pour l’exploitation des bateaux à vapeur dans l’État de Pensylvanie.

Cependant Rumsey perdit sa cause. L’État de Pensylvanie ne crut pas devoir dépouiller Fitch des avantages qu’il lui avait accordés pour perfectionner son invention. Obéissant à un sentiment de justice, et comprenant, sans doute, combien une entreprise aussi difficile avait besoin d’être soutenue dans ses droits, le Congrès des États-Unis refusa à James Rumsey, le privilége qu’il sollicitait pour l’emploi des bateaux à vapeur.

Craignant de rencontrer de la part des autres États, la résistance qu’il avait trouvée dans celui de Pensylvanie, Rumsey s’embarqua pour l’Europe, pour y faire connaître ses projets. Il se rendit en Angleterre, où nous le rejoindrons bientôt.

Le triomphe que Fitch venait d’obtenir, ne lui fut pas, malheureusement, d’un grand secours. De concert avec son fidèle ami, le docteur Thornton, il ne cessait de perfectionner sa machine. C’est ainsi que le 11 mai 1790, son bateau à vapeur fit le voyage de Philadelphie à Barlington, en trois heures et un quart, poussé par la marée, mais avec un vent contraire. Le bateau avait fait sept milles à l’heure.

Mais les frais continuels des expériences, et la longueur du temps écoulé depuis le commencement de l’entreprise, avaient fatigué les associés de Fitch. On ne peut guère d’ailleurs s’en étonner. Un actionnaire n’est pas un inventeur ou un savant, qui se propose la découverte ou le triomphe d’une vérité et s’intéresse à son avenir. C’est un capitaliste, qui a besoin de tirer parti de ses fonds, et qui est pressé de rentrer dans ses avances, avec le bénéfice qu’il a le droit d’en espérer.

Voilà ce qui explique l’insuccès définitif de l’entreprise de Fitch. En 1792, il avait déjà sensiblement perfectionné son appareil moteur ; car sa galiote, dans une seule journée, avait pu parcourir quatre-vingts milles sur la Delaware ; cependant la compagnie se dégoûta de l’entreprise, et abandonna l’inventeur.

Fitch, désespéré, résolut de jouer toute sa fortune sur le succès de son invention. Le 20 juin 1792, il écrivit à Rittenhouse, l’ancien collègue de Franklin, alors directeur de la Monnaie, pour lui offrir en vente les terres qu’il possédait dans le Kentucky. Il excitait Rittenhouse à lui rendre ce service, en disant à ce savant qu’il aurait ainsi l’honneur de l’avoir secondé dans la grande entreprise, qui donnerait un jour, assurait-il, « le moyen de traverser l’Atlantique, qu’il réussît ou non ».

C’était là, en effet, une pensée dont il ne pouvait détacher son esprit. Certain que la navigation par la vapeur était praticable, que l’idée était mûre et qu’elle touchait au moment de sa réalisation, Fitch éprouvait un véritable désespoir de ne pouvoir faire partager ses convictions à personne. Sa persistance dans cette idée avait fini par détourner de lui ses amis, et même les étrangers, qui étaient fatigués de lui entendre répéter toujours les mêmes discours. Il était devenu un objet de raillerie pour les habitants de Philadelphie, quelquefois même un objet de pitié.

Un jour, se trouvant chez un forgeron qui