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la requête de l’inventeur. M. de Calonne en jugea autrement. Il voulut consulter l’Académie des sciences pour savoir s’il y avait invention.

De son côté, l’Académie outre-passa les vues du ministre, car elle prétendit décider, outre le fait de l’invention, la valeur même des procédés pratiques mis en usage.

L’abbé Bossut, Cousin et Périer furent nommés commissaires du Mémoire sur les pompes à feu, adressé par M. de Jouffroy. Périer et Borda furent spécialement désignés pour l’examen du pyroscaphe.

Ainsi M. de Jouffroy trouvait pour juge celui qui avait été son rival dans la question même qu’il s’agissait d’examiner.

Fig. 88. — Jacques-Constantin Périer.

L’Académie des sciences de Paris était fort loin, à cette époque, des habitudes de convenance et de mesure qui la distinguent aujourd’hui. Une discussion orageuse s’éleva dans son sein, à propos de la prétention d’un gentilhomme obscur, que peu de savants connaissaient et qui n’était d’aucune Académie. Le témoignage de dix mille personnes qui avaient assisté à l’expérience, le sentiment des académiciens de Lyon, les calculs et les assertions de l’auteur, tout cela fut compté pour rien. L’Académie répondit au ministre, qu’avant d’accorder le privilége sollicité par M. de Jouffroy, il fallait exiger que ce dernier vînt répéter ses expériences sur la Seine, en faisant marcher, sous les yeux des commissaires de l’Académie, un bateau du port de 300 milliers.

Ainsi la science ne voulait accueillir un résultat constaté à Lyon qu’après l’avoir vu se reproduire à Paris.

M. de Jouffroy, confiant dans le succès d’une expérience authentique, exécutée sous les yeux de dix mille spectateurs, avait jugé inutile d’aller suivre à Paris une affaire aussi simple. Il attendait donc, dans une tranquillité parfaite, la délivrance de son privilége, lorsqu’il reçut du ministre la lettre suivante :

Versailles, le 31 janvier 1784.

« Je vous renvoie, Monsieur, l’attestation du succès qu’a eu à Lyon la pompe à feu par laquelle vous vous proposez de suppléer aux chevaux pour la navigation des rivières, ainsi que d’autres pièces que vous m’avez adressées, jointes à votre requête tendante à obtenir le privilége exclusif, pendant un certain nombre d’années, de l’usage des machines de ce genre. Il a paru que l’épreuve faite à Lyon ne remplissait pas suffisamment les conditions requises ; mais si, au moyen de la pompe à feu, vous réussissez à faire remonter sur la Seine, l’espace de quelques lieues, un bateau chargé de 300 milliers, et que le succès de cette épreuve soit constaté à Paris d’une manière authentique, qui ne laisse aucun doute sur les avantages de vos procédés, vous pouvez compter qu’il vous sera accordé un privilége limité à quinze années, ainsi que vous l’a précédemment marqué M. Joly de Fleury.

Je suis bien sincèrement, Monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

« De Calonne. »

En lisant cette lettre, M. de Jouffroy comprit qu’il devait abandonner tout espoir. Il avait consacré ses dernières ressources à la construction de son bateau de Lyon, et on