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machine imparfaite, et qui depuis cinquante ans fonctionnait sans progrès notables, l’avait transformée en un agent moteur d’une force presque sans mesure et d’une application illimitée. En raison du principe sur lequel elle repose, sa puissance motrice était incalculable ; grâce aux artifices employés pour en modérer et en régulariser l’action, elle pouvait servir aux usages les plus variés et les plus délicats.

Aussi quelques années suffirent-elles pour répandre en Angleterre ce précieux appareil. Dans les grands centres manufacturiers, tels que Birmingham, Manchester, Liverpool, etc., la machine à vapeur fut appliquée au cardage de la laine et du coton, à la fabrication des draps et de tous les tissus de fil, de coton ou de soie. Par son secours, l’industrie de l’exploitation de la houille ne tarda pas à étendre ses bénéfices dans une proportion extraordinaire. La machine à vapeur fut aussi employée dans les usines métallurgiques, pour marteler, laminer le fer, le cuivre et le plomb, pour étirer en fil le fer et l’acier ; on l’appliqua à tous les travaux hydrauliques, au sciage mécanique du bois, à la fabrication du papier, de la porcelaine et de la faïence, à l’impression des livres, à la préparation et au broiement des couleurs destinées à la peinture ; en un mot, à presque toutes les branches de l’industrie britannique.

Un chiffre suffira pour faire connaître l’économie prodigieuse que l’emploi de la machine à vapeur a permis de réaliser dans les opérations industrielles. Selon Arago, un boisseau de charbon brûlé dans les machines à vapeur du Cornouailles produit l’ouvrage de vingt hommes travaillant dix heures. Or, dans les comtés houillers de l’Angleterre, un boisseau de charbon coûte environ 0f,90. La machine de Watt a donc permis, en Angleterre, de réduire le prix d’une journée d’homme, de la durée de dix heures, à moins de 0f,05 de notre monnaie.

Après un tel résultat, on est moins surpris d’apprendre que, suivant des relevés authentiques, les machines à vapeur qui existent aujourd’hui en Angleterre remplacent à elles seules le travail de trente millions d’hommes.



CHAPITRE IX

dernières années de james watt.

Ces machines admirables qui devaient exercer une influence si extraordinaire sur la prospérité de la nation britannique, Watt les faisait exécuter sous ses yeux, dans l’immense établissement de Soho. C’est de là que partaient les puissants appareils qui allaient fonctionner dans les diverses parties des trois royaumes. La manufacture de Soho était pour les Anglais une sorte d’école des ponts et chaussées ; c’était comme un établissement d’instruction pour les ingénieurs et les mécaniciens de la Grande-Bretagne. Les étrangers s’y rendaient aussi pour étudier le mécanisme des nouvelles machines, et pour en transporter l’usage dans leur patrie. C’est ainsi que Bettancourt, envoyé par le gouvernement espagnol, put introduire dans son pays les premiers appareils de ce genre ; l’habile ingénieur avait deviné le mécanisme de la machine à double effet à la seule inspection de son jeu extérieur. C’est encore de la même manière que l’aîné des frères Perrier, qui fit, dans cette vue, jusqu’à cinq voyages en Angleterre, put installer à Paris une machine à vapeur qui n’était que la reproduction de la machine de Watt à simple effet. C’est la même machine qui a fonctionné jusqu’à l’année 1854 sur les rives de la Seine pour la distribution des eaux, et qui était connue sous le nom de pompe à feu de Chaillot.

Watt continua de résider à Birmingham ou à Soho, jusqu’au terme de son association avec Mathieu Boulton ; leur société devait durer jusqu’à l’expiration du premier brevet de Watt. Ce brevet, concédé en 1775, pour un