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LES PRIMITIFS FLAMANDS

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Ce thème des luttes de Permilc contre les passions infernales, Boicti l'a fait sien. Il n'est point possible d'imaginer une Tentation de saint Antoine sans son- ger aussitôt aux compositions fantastiques du maître de Bois-le-Duc. Elles lui ont valu sa réputation de faiseur de diables et de peintre de cauchemars. Mais les côtés divers de son génie réaliste, fantastique, symboliste s'y manifestent en puissante syn- thèse et si ses Tentations sont célèbres surtout pour leurs drôleries, leurs détails grotesques, leurs bizarreries hallucinantes, elles méritent vraiment d'être considérées comme la création capitale de l'artiste, pour des raisons très profondes qui touchent à la morale autant qu'à la beauté. La version de Lisbonne (château royal d'Ajuda) serait la seule authentique. Il en existe un grand nombre de copies dont les princi- pales sont à l'Escurial, aux musées de Bonn (excellentes), d'Amsterdam (médiocre), d'Anvers (passable), de Bruxelles (fort bonne) (i).

En toutes lettres la signature : Jheronimus Bosch s'étale sur la réplique de Bruxelles (Fig. CXXXIV). Au centre, parmi les ruines d'un manoir, l'ermite prie devant un autel. Une légion de monstres, de démons, de musiciens manchots à tête de porc, assaille le saint. D'autres démons suivent, l'un armé d'une roue où s'agite une jambe, un autre coiffé d'un tronc d'arbre, un troisième pinçant de la harpe. Un lac sombre s'étend devant la ruine; des poissons s'y muent en gondoles, tandis que dans les airs des grues se transforment en appareils d'aviation. Sur le volet gauche — la plus belle partie — apparaît un moine ivre tenu par trois compagnons. Les fanes d'une colline crèvent et affectent la forme d'un homme accroupi qui écarte les jambes, — allusionau crime des sodomites. Une grenouille traverse le ciel empor- tant quelque religieux démoniaque... 'A droite le saint médite, enveloppé d'un grand manteau noir, et la Femme apparaît, nue, levant la portière rouge d'une tente propice. Au revers, des grisailles reprennent avec une simplicité presque classique, d'un côté le thème de l'Arrestation de Jésus, de l'autre celui de la Marche au Calvaire (Fig. CXXXV).

Le réalisme de Bosch se reconnaît, dans la partie centrale, à la ville incen- diée dont le clocher aigu se brise net, aux eaux transparentes du lac et de la rivière, à la variété des terrains ; dans le volet de droite au château inondé, à l'admirable site urbain; et un peu partout aux fleuves qui serpentent, aux arbres tordus par les flammes, aux incendies eux-mêmes. Quand une ferme flambe en Camptne, on dit que le coq rouge chante. Pour ses représentations infernales et ses Tentations, Bosch

(i) Reproduction du panneau central dans deujt petit» tableaux de Vienne; wolett d'une vieille copie au Prado; co^i réduite de l'enacmblc du triptyque dana la collection du duc d'Anhalt (.Woirlila).