Page:Fierens-Gevaert - La Peinture en Belgique, volume 2.djvu/225

Cette page n’a pas encore été corrigée

LES PRIMITIFS FLAMANDS X8t

Les contractions incohérentes des femmes, leurs poses rigides, leurs renversements spasmodiques, ont, au témoignage des docteurs Charcot et Richet, tous les caractères scientifiques de l'hystérie et de l'hystéro-épilepsie. Les photographies exécutées dans les hôpitaux n'auraient pas une plus grande valeur documentaire ! Et cette même année est marquée par l'achèvement d'une œuvre dont on a dit avec justice qu'elle était en quelque sorte le couronnement de la carrière de Bruegel comme peintre diabolique : Dulle Griet (fig. CCVII, collection Mayer van den Bergh, Anvers.) L'œuvre est à visées symboliques et sociales. Dulle Griet (Margot ou Marguerite l'enragée, la terrible), c'est la femme méchante, la créature enfantée pour le mal, la Zwarte Griet d'Allemagne, celle-là même que Wagner devait incarner dans sa figure d'Ortrude. L'héroïne de Bruegel est toute chargée du prestige terrible dont l'entourait le moyen âge flamand. Dans un décor compliqué où se reconnaît encore l'inspiration boschienne, elle se dresse menaçante, flamberge au vent, casquée, cuirassée, devant la Gueule d'Enfer, qui semble frappée d'épouvante. Le diable lui-même, dans nos vieilles légendes, n'a-t-il pas peur des mégères? Des démons de tous genres sortent des demeures en ruines et s'entassent dans des corbeilles, dans des barques, tandis que des gueuses infernales pourchassent, frappent, ligottent ceux qui n'ont point trouvé d'abri... Et la grande figure de Dulle Griet domine cette mêlée de petits êtres diaboliques, cette bataille obscure que limitent des montagnes crêtées de flammes d'incendie. Dulle Griet est maîtresse du monde ! Et peut-être n'a-t-on pas torl de reconnaître dans l'œuvre une allusion au régime de terreur imposé par l'orgueil castillan au plantureux pays de Flandre.

« « 

A Bruxelles, Bruegel jouit bientôt d'une vogue considérable qui s'étendait fort loin. L'un de ses plus fervents admirateurs fut un étranger, l'empereur Rodolphe H. Les tableaux qu'il acheta à Bruegel pour sa collection de Prague sont aujourd'hui à Vienne. Le Kunsthisiorisches Hofmuseum de la capitale autrichienne fait connaître l'artiste plus complètement que n'importe quelle autre collection (l'. On y admire, disions- nous, le Combat entre Carnaval et Carême (iSSç) et les Jeux d'enfants (t56o). On y trouve en outre, des années i563 et 1564, le Suicide de Saûl, petit tableau traité en miniature et annonçant la manière de Jean Breughel de Velours, la Tour de Babel,

(t) Le Mua^e Impérial de Vienne possède quinze tableaux — tous des chefs-d'œuvre — de Bruegel l'Ancien, toil U moitié des oeuvres connues du grand arliatc.