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LES PRIMITIFS FLAMANDS 2/9

vaste scène, la variété de tous les types représentés, la gamme si diverse des expressions, la justesse du dessin et aussi, — il faut le souligner puisqu'il s'agit d'un maître que l'on surnomme parfois le Drôle — la noblesse rituelle des person- nages sacrés opposée à la vie intense de la foule. Et jl'on ne peut s'empêcher de se souvenir que l'indication de ce contraste dramatique est dans une œuvre du mattre à qui le XVI' doit les plus précieux exemples, dans l'Adoration des Mages de Léonard de Vinci. D'ailleurs si Bruegel s'est souvenu de Léonard dans cette Adoration, — et reconnaissons que cette filiation ne saurait s'établir avec une bien grande sûreté, — il s'est encore bien plus souvenu de Bosch, (i) C'est de ce dernier également qu'il peut se réclamer dans sa Chute des Anges rebelles (iSôi. — Musée de Bruxelles), admirable trombe de monstres qui descend du zénith et s'obscurcit à mesure qu'elle approche des profondeurs infernales (fig. CCVI). Le coloris — cette fois le mattre se sert de l'huile, — est du plus pur éclat ; les jaunes d'or, les rouges, . les blancs laiteux se juxtaposent sans se nuire, gardent leur timbre propre tout en s'harmonisant, et c'est à se demander si, comme coloriste, Bruegel n'a point demandé des leçons aux Vénitiens, ce qui lui a permis de préparer la palette de Rubens (zl. La composition est plafonnante, autre nouveauté dans notre art, et nouveauté qui vient d'Italie. Assurément Bruegel est dès lors un grand maître. L'esprit de ses œuvres va toutefois connaître des conquêtes plus hautes et plus neuves.

En attendant qu'il s'affirmât complètement dans la peinture, l'artiste donnait la mesure de sa personnalité dans des compositions gnomiques, folkloriques, dans des paysanneries, des proverbes, — qu'il dessinait et que des graveurs traduisaient. Le maître s'y avère interprète d'une race. Aucun souvenir italien ne le hante. On sait qu'il prenait plaisir à aller aux kermesses et aux fêtes villageoises, en compagnie de son ami Hans Franckert, un marchand nurembergeois établi à Anvers. Déguisés en paysans, tous deux se mêlaient à la foule, offraient même des cadeaux. < Le bonheur de Bruegel , dit van Mander , était d'étudier ces mœurs rustiques , ce» ripailles, ces danses, ces amours champêtres. » Dans un petit livre qui se nourrit forcément des découvertes apportées par MM. van Bastelaer et Hulin, mais qui reste personnel par ses qualités de style et de fine pénétration psychologique, (3) M. Charles Bernard dit avec raison que durant le cinquecento flamand, Bruegel est le peintre « qui a maintenu le plus fortement le sens national et traditionnel. » Sa grouillante Kermesse de saint Georges en est une des plus anciennes preuves (vers

(i) Voyez noire reproduction CXXX,

(i) M. GIQck fait trU bien obtcrver que Bruegel, contrairement à la mithode de nos italtanisanU compiia par la MamiiT«  lombarde, diipoie set tons i plat tans grand souci du cisir-obscur.

(3) Ch. Be«><a*i>, Pierre Bruegel ('.Incien, Bruxelles, Van Octt cl C"'.