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LES PRIMITIFS FLAMANDS

L’une des pièces capitales de la galerie de don Felipe de Guevara, la Voiture de Foin, aujourd’hui à l’Escurial, transpose de la manière la plus hardie le texte d’Isaïe (XXXVII, 27 et XL, 6) : Toute chair est foin et toute gloire est comme l’herbe des champs. Voici comment parlent cette fois le symbolisme et la mystique de Bosch. Des moissonneurs rentrent à la ferme après le labeur de la journée. Sur le chariot, où se hausse le foin, un groupe de jeunes femmes chantent et jouent ; parmi elles la vaine Renommée sonne de la trompette. Sept fauves monstrueux — les vices — tirent le chariot et derrière le véhicule champêtre viennent le Pape, l’Empereur et les parasites qui vivent des grands. Une foule hideuse assiège le chariot et réclame sa part des joies folles. La formidable et décevante voiture poursuit sa route vers la « grange terrible », but de sa course : l’Enfer. Mais Jésus est là, qui accueille les sincères et pardonne aux pécheurs repentants. Jamais l’esprit symbolique de Bosch ne trouva langage plus clair, plus manifestement emprunté aux réalités immémoriales. L’œuvre est-elle bien de sa main ? M. Justi le croit ; d’autres contestent l’attribution. Pour notre part, surtout dans la partie centrale, nous croyons discerner de grandes affinités de coloris avec les plus anciennes peintures connues de Bruegel le vieux ; la délicatesse de l’ensemble, le bariolage chatoyant des monstres qui traînent le chariot, les taches claires, chromatiques du cortège, rappellent irrésistiblement à la mémoire la brillante Chute des anges rebelles du vieux Bruegel qui est au Musée de Bruxelles.

Une curieuse composition que conserve le Musée d’Anvers (CXXXIII) rassemble en trois zones superposées le Jugement Dernier, les Sept Péchés capitaux et les Sept œuvres de la Miséricorde. Wurzbach attribue à Bosch lui-même cette série de petites scènes, assez brillantes en couleur, et amusantes comme satire des mœurs contemporaines. Les costumes et la forme des souliers datent l’œuvre des environs de l’année 1490. Cette intéressante peinture serait donc d’un contemporain de Jérôme Bosch, subissant l’influence du maître.

La critique n’est plus très affirmative aujourd’hui quant à l’authenticité des Sept Péchés capitaux conservés dans la Salle des Ambassadeurs de l’Escurial. Pour Dollmayr c’est l’œuvre du monogrammiste M. Elle est inspirée de l’esprit parénétique qui domine Bosch dans la dernière partie de sa carrière. Le Jugement Dernier de Vienne, qui pourrait bien être une réplique de la grande composition commandée à l’artiste par Philippe le Beau, relève de la même tendance. Avec ses groupes de paresseux, d’orgueilleux, d’ivrognes, de luxurieux soumis à des tortures diverses par Lucifer, l’Enfer de ce Jugement est d’une invention surprenante et qui ne sera dépassée que par celle des Tentations de saint Antoine.