Page:Fierens-Gevaert - La Peinture en Belgique, volume 2.djvu/19

Cette page n’a pas encore été corrigée

lES PRIMITIFS FLAMANDS

•75

de la slaluc d'un faux dieu qui s'écroule. Et la fièvre qui agite le solitaire et qui

gagnera les saints Jérômcs de Marinus de Roymerswaelc — est le signe manifeste de l'esprit novateur de Bosch.

Le Martyre de sainte Julie de Vienne, VEcce Homo de l'Escurial, le Portement de croix du Musée de Gand et le Christ présenti au peuple de la collection von Kaufmann, sont classés comme œuvres de la seconde manière. Le maître affirme définitivement ses dons réalistes et satiriques. L'admirable Ecce Homo, donné par Philippe II à l'Escurial, n'a rien de grave; c'est avant tout « l'œuvre d'un observateur malicieux ». Un soldat grimaçant s'apprête à arracher le manteau du Christ, tandis qu'un autre rustre armé couronne le Sauveur d'épines. Les caractères extérieurs de ta scène sont seuls marqués; ils le sont d'ailleurs de la manière la plus forte. Quelques- unes des figures de ce tableau sont reproduites dans le Martyre de sainte Julie qui se trouvait au xviii* siècle à Venise et fut envoyé à Vienne pendant la domination autri- chienne avec le saint Jérôme. Il y a plus d'émotion dans ce Martyre que dans l'Ecc* Homo et surtout la jeune femme, agonisant sur la croix, retient l'attention. Enfin le Portement de croix du Musée de Gand « frappant dans la stupéfiante série du maître », — ainsi parle M. Fricdlândcr, — donne une idée excellente de la seconde manière de Bosch et, pour reprendre notre rôle de cicvone des galeries belges, nous nous arrêterons un instant devant cette peinture « qui dépasse les bornes " (Fig. CXXII).

Elle les dépasse, non par les dimensions — celles-ci sont moyennes, — mais par l'expression. Le tableau rassemble une douzaine de figures autour d'un Christ très doux et comme absent de la scène. Les types disent la contemporanéité de l'oeuvre avec VEcce Homo de l'Escurial, le Christ présenté au temple de la collection von Kaufmann et le Martyre de sainte Julie. Ce n'est plus à proprement parler une scène, ni une composition quelconque ; c'est un ensemble de létes traduisant les dehors populaires et grotesques de la tragique Passion avec une vérité subjective, avec les réalités déconcertantes d'une caricature lyrique. Si le Christ, incliné sous la croix n'était au centre du tableau, comment pourrions-nous croire à une œuvre reli- gieuse? Dans le haut, à droite du spectateur, le bon larron s'encadre d'un profil hargneux de capucin, — le moine se fait tel pour dépeindre les atrocités de l'enfer, — el du masque, en profil également, d'un ignoble pharisien qui pince les lèvres en bourgeois important. Sous le pharisien est une sorte de nègre qui hurle; devant le nègre, un gros soudard, à trogne rubiconde, au nez pourpre, qui étouffe sous son lourd casque à visière; plus bas que le soldat, le mauvais larron ricanant, gouailleur, grinçant, blasphémant. C'est une infâme crapule. Des emplâtres garnissent ses cheveux crasseux. « Van Mander assure avoir vu un Ecce Homo à mi-corps, grandeur naturelle, où