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également inspirée d’une œuvre de Roger van der Weyden perdue et remontant à ses débuts. Un ange y figure tenant dans la bouche un philactère avec ces mots : Ne redeatis ad regem Herodem ; cette banderole est une marque d’archaïsme, une réminiscence de l’art des miniaturistes ; maître Roger y renoncera dans la suite. Malgré la fidélité vivante des costumes et des accessoires, ces tapisseries se revêtent d’un caractère de hiératisme accentué. C’est bien Roger van der Weyden néanmoins qui les inspira ; il est même remarquable de constater à quel point les modifications imposées par l’art du haute-lissier ont respecté les beautés lyriques du maître et combien, par les formes, l’expression, le choix des types ces tapisseries restent parentes de l’admirable Descente de Croix de l’Escurial.

Cette œuvre capitale[1] doit dater de l’année 1435 environ. Elle orna tout d’abord l’église de Notre-Dame-hors-les-Murs de Louvain et appartenait aux arbalétriers de cette ville qui la cédèrent à Marie de Hongrie. Envoyée au roi d’Espagne, le vaisseau qui la portait fit naufrage. Le tableau flotta et fut sauvé. « Comme l’emballage avait été soigneusement fait, raconte van Mander, la peinture eut à peine à souffrir ; le panneau fut légèrement disjoint, mais il n’y eut pas d’autre dommage. À la place de l’original, on donna aux Louvanistes une copie faite par Michel Coxcie, ce qui laisse à penser quelle valeur devait avoir le modèle ». Dans cette œuvre, en effet, les nuances du génie de van der Weyden se combinent avec une beauté si harmonieuse que l’artiste pourra trouver ailleurs plus de force ou plus de richesse, mais jamais plus une telle mesure ni un si parfait équilibre[2]. Les figures sont sur fond d’or. Au centre le Christ est soutenu par Joseph d’Arimathie, lequel se tient debout devant la croix, en forme de tau ; à droite la Vierge, anéantie par la douleur, est entourée de saint Jean et des saintes femmes ; à gauche, Nicodème tenant les jambes du Christ, la Madeleine et un autre personnage. Il est juste de reconnaître avec les critiques qui tiennent Roger pour un disciple des imagiers de Tournai, que l’œuvre présente un aspect de bas-relief, avec ses fonds sans profondeur réduits au minimum, ses figures disposées d’une façon presque symétrique, très rapprochées les unes des autres et qui ne pourraient se mouvoir que difficilement. Un sens merveilleux de l’effet linéaire impose à l’œuvre une ordonnance en quelque sorte irréprochable. Ce n’est point la vérité réaliste des physionomies qui frappe, ni la disposition vivante ou pittoresque de la scène ; c’est le groupement idéal des personnages et la beauté spirituelle de leurs expressions.

  1. Sur la Descente de croix, cf. Livre des peintres, trad. Hymans t. I, pp. 100 et 101 ; Roger van der Weyden, Alph. Wauters, op. cit., pp. 63 et suiv. ; les Peintres flamands en Espagne, Jean Rousseau, Bull. des commissions d’art et d’archéologie, 1. VI, p. 316, et t. II, p. 32. Voir la reproduction du tableau dans le Tafelwerk de l’ouvrage de K. Voll, Die Altniederländische Malerei.
  2. Notre fig. XXII qui reproduit l’une des deux répliques du Prado permet de suivre notre description.