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pâle, gris rosaire, mauve tendre, portant presque toutes la palme du martyre. Et il semble que ces théories lointaines qui se détachent comme « des notes d’azur clair ou foncé sur l’austère tenture du bois sacré[1] », ne sortent du bocage que pour s’élever au ciel.

Les rayons du Saint-Esprit illuminent le ciel et la terre, et la nature parée de toutes ses fleurs, — fleurs du sol, fleurs du printemps et fleurs humaines, — chante la puissance du Seigneur. Et par-delà les collines qui ferment les bosquets et que gardent quelques ifs et palmiers, une ville surgit toute bleue, plantée sur un second horizon : la Jérusalem céleste avec des clochers, beffrois, pignons, tours, dômes, — formant la plus ingénieuse silhouette qu’il soit possible d’imaginer, toute une architecture ciselée, dentelée, élancée, qui n’est point une architecture de rêve, qui n’est point non plus la reproduction d’édifices existants, mais qui nous offre l’image d’une cité conçue par le cerveau d’un grand artiste et telle qu’aurait pu être une ville au XVe siècle dans nos régions scaldiques et mosanes, avec ses monuments achevés. Songeons à tous les chefs-d’œuvre de l’architecture gothique interrompus par leur constructeur et qui nous ont été transmis sans leur couronnement. Les édifices de l’Adoration ont bien pu trouver leur point de départ dans des constructions réalisées ; mais le peintre en a complété les motifs, il les a munis de pointes, de flèches, de tourelles, de lanternes terminales. La détermination exacte des styles et des époques est impossible ; plus impossible encore l’identification des monuments. En allant de gauche à droite on reconnaîtrait le dôme de Munster, la tour d’Utrecht (au-dessus de l’Agneau et assez exacte) la cathédrale de Cologne, avec son chœur étrangement séparé des deux clochers achevés, la grande église de Saint-Martin à Maestricht ; à l’extrémité droite (au-dessus de la théorie des Élus) une construction religieuse d’aspect fantastique, haussant une double lanterne sur un dôme surbaissé, serait inspirée par le dôme de Mayence. Nous pourrions signaler aussi entre la soi-disant cathédrale de Cologne et l’étrange dôme de Mayence, le beffroi de Bruges, le clocher de Notre-Dame de Bruges, les tours jumelles de Saint-Barthélémy de Liège. De même, avec quelque bonne volonté, on reconnaîtra la tour brugeoise du Minnewater dans le panneau des Juges et le Beffroi de Tournai dans celui des Chevaliers[2]. Mais il est téméraire d’affirmer quoi que ce soit.

Il serait bien hasardeux aussi de se livrer à des considérations techniques devant ce panneau central. Le premier prophète en houppelande lilas est fort retouché ;

  1. Fromentin, les Maîtres d’autrefois, 5o édition, p. 426.
  2. M.  Hymans croit que van Eyck a tenu plutôt à rappeler des monuments méridionaux : l’ancienne cathédrale de Lisbonne, la Tour de l’or de Séville, notamment.