compagne ; c’est avec une légitime fierté qu’il y pouvait inscrire sa devise. Als ik kan.
On ne saurait passer sous silence la Vierge (Fig. XV, Collection Hellepulle) adorée par l’abbé van Maelbeke, prévôt de Saint-Martin d’Ypres. C’est une œuvre que Jean van Eyck a laissée à l’état d’ébauche, mais qu’on a complètement remaniée au XVIIe siècle. La critique allemande la tient pour une supercherie du XIXe siècle ; la critique allemande a tort. L’authenticité du tableau est hors de doute, et peu de peintures de cette époque ont pour se défendre un dossier si complet et si convaincant ; deux documents du XVe siècle mentionnent l’œuvre et, notamment, une note de 1445 du mémorial de la communauté des frères gris d’Ypres. Puis van Mander, van Waernewyck, Guichardin en parlent et la décrivent. Enfin il en existe deux copies anciennes à Ypres même, l’une à l’église Saint-Martin, l’autre au Musée. Van Mander en a dit : « Il semble que ce fut une œuvre plus divine qu’humaine. » Mais hélas ! Des barbouilleurs l’ont refaite impitoyablement. L’abbé Nicolas van Maelbeke est effrontément défiguré ; on lui a peint une tête rougeaude de tireur à l’arc. Aucun vestige ne subsiste du pinceau de Jean, ni dans la Vierge, ni dans les volets, ni dans les grisailles de l’extérieur ; repeinte au XVIIe siècle et une ou deux fois au XIXe, l’œuvre est tuée ; seules la conception de l’ensemble et aussi quelques particularités du paysage dénoncent l’origine de la merveille souillée.
Jean van Eyck ne fut indifférent à aucune des formes de son art. Décorateur, (en 1433 il étoffa de couleurs six statues — détruites — de l’hôtel de ville de Bruges), miniaturiste (il paya et sans doute surveilla les travaux des enlumineurs du duc), paysagiste, architecturiste, portraitiste sans rival, il accepta des travaux de géographe et fut aussi peintre de genre (on signale de lui une Chasse à la loutre et une Salle de bain perdues). Il mourut en 1440, fut enterré dans le cimetière de Saint-Donatien, puis transporté à l’intérieur de l’église, où, jusqu’à la Révolution française, on célébra une messe anniversaire pour le repos de son âme. Son épitaphe, déjà fleurie d’humanisme, dit qu’il surpassa Phidias, Apelle et Polyclète.
Il fut l’un des plus grands explorateurs de la nature ; à ce titre il est l’un des pères de l’art moderne. Sa joie à saisir la physionomie exacte des êtres et des choses est inlassable, sa sûreté à les rendre, infaillible. Il n’y a point dans l’histoire de l’art un autre exemple d’une pareille soumission à la réalité objective. C’est à tort, qu’on lui reproche de manquer d’émotion mystique. Nul maître ne fut plus religieusement absorbé par les joies sublimes de son art ; nul peintre ne comprit mieux la poésie des oratoires gothiques et ne créa, pour les orner, de plus précieux tableaux d’autel. Si le retable de Melchior Broederlam est une belle image de dévotion, la Vierge du chanoine van der Paele est une image du Paradis.