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le Bon réprimande ses receveurs d’avoir retenu la pension de l’artiste. Quelque temps plus tard le duc offre six tasses d’argent au « baptisement » de l’enfant du maître et fait tenir le nouveau-né sur les fonts, en son nom, par le seigneur de Chargny.

En 1436, Jean van Eyck peint la plus importante de tes compositions religieuses (après le polyptyque de l’Agneau), la Madone du chanoine van der Paele (Fig. X, Musée de Bruges)[1]. L’œuvre est signée et datée, et les paroles inscrites sur le cadre primitif et tirées du Livre de la Sagesse sont celles-là mêmes que l’on relève dans l’Adoration de l’Agneau au-dessus de la Vierge qui trône à côté de Dieu le Père. L’église romane, où nous introduit le retable du chanoine van der Paele, est peut-être la basilique de Saint-Donatien, la cathédrale de Bruges qui, naguère, s’ornait du chef-d’œuvre. Au delà des arcades s’ouvrant sur le déambulatoire, des vitraux lenticulaires, tels que Jean van Eyck en peignit souvent (Vierge Rolin, Annonciation de Saint-Pétersbourg, autel portatif de Dresde) laissent passer une lumière fine qui glisse en caresse sur les colonnes trapues et presque naines si on les compare à la hauteur des personnages, — convention qui sera frappante dans certaines parties de l’Adoration de l’Agneau. Assise sous un dais vert, vêtue d’un manteau pourpre, la Madone avec son front bombé, ses joues pleines, son cou robuste, répète en l’achevant le type annoncé par la Vierge du chancelier Rolin. L’enfant Jésus joue avec un perroquet et s’empare des fleurs de sa mère ; d’aucuns le trouvent « sans charme et sans grâce ». Peut-être. Mais van Eyck a rendu ce que la tendre enfance, même robuste, même flamande, a tout à la fois de mièvre et de vieillot. À gauche de la Vierge s’agenouille le donateur, maître Georges van der Paele, chanoine de Saint-Donatien, — élu en 1410, décédé en 1444. De ses mains courtaudes et carrées il garde son bréviaire, ses besicles en corne, ses gants. Chauve, avec quelques touffes maigres au-dessus de l’oreille, le front osseux et dur sous la peau mince, les yeux soulignés d’une poche veinée, la mâchoire couverte de plis graisseux et couturés, — ce chanoine est illustre dans l’art du portrait. Derrière lui, debout, se tient son patron, saint Georges, éphèbe cuirassé qui esquisse un sourire « éginétique », — curieuse survivance d’archaïsme médiéval qui frappe également chez l’ange de l’Annonciation de Saint-Pétersbourg et dans le visage du pseudo-Hubert van Eyck qui chevauche parmi les Juges intègres du polyptyque de l’Agneau. En pendant à saint Georges, voici le patron de l’ancienne cathédrale

  1. L’œuvre se trouvait primitivement dans la sacristie de l’église de Saint-Donatien. Transportée à Paris, après la Révolution, elle ne revint qu’en 1814. Elle est fendue horizontalement ; aux deux extrémités, près de saint Georges et de saint Donatien, la flamme des grands cierges d’autel a laissé des traces légères. Un peintre du XVIe siècle — peut-être l’un des Chamoines — a caché le sexe de l’enfant sous un pan de linge tortillé.