Page:Fierens-Gevaert - La Peinture en Belgique, volume 1.djvu/264

Cette page n’a pas encore été corrigée

l3o LES PRIMITIFS FLAMANDS

complétant les scènes d'cntrc-colonnes où le peintre raconte la vie du disciple bien-aimé. L'évocation d'un coin de la cité, dans ces petites scènes du fond, rend tangible jusqu'au charme même de Bruges, et les portraits des donateurs, — précises et sincères figures qui rivalisent avec les portraits de van Eyck, de van der Goes et que Memlinc lui-même ne surpassera pas, — nous renseignent en outre sur la psychologie individuelle du temps. Enfin le coloris, malgré les retouches, apparaîtrait comme l'âme même de l'œuvre, si nous ne savions que dans leurs pages capitales, les artistes de ce temps entendaient surtout correspondre avec Dieu. On a décrit si éloquemment déjà les splendeurs du grand retable de l'Hôpital, les délicatesses des volets, l'éblouissante harmonie du panneau central, l'élé- gance de la sainte Catherine au visage exquisement juvénil, et de la sainte Barbe aux paupières baissées (i); on a dit si justement qu'on retrouvait ici le clair-obscur de van Eyck avec des souplesses nouvelles et « des distances mieux marquées entre les demi-teintes et les lumières, » qu'il serait vain de tenter à nouveau une analyse technique du chef-d'œuvre. Memlinc a réalisé ici son idéal avec une plénitude entière de moyens matériels et spirituels. Toutes ses qualités acquises ou instinctives s'assemblent pour se soumettre aux douceurs extrêmes de son rythme personnel. La mysticité de notre race a pu parler ailleurs un langage plus grandiose ou plus pathétique ; elle n'a jamais connu séduction plus pure, ni suavité plus adorable. On sait le mot de Michel-Ange sur Fra-Angelico. Memlinc lui aussi a dû visiter le Paradis, y recevoir un permis d'études et y faire choix de quelques-uns de ses plus beaux modèles...

Si la Passion du Christ de la Pinacothèque de Turin est bien de Memlinc, elle affirme les dons de miniaturiste du maître, si sensibles déjà dans les fonds du Mariage mystique de sainte Catherine. Cette Passion est un tableau de petite dimension exécuté vers 1476. L'histoire en est obscure. Pour les uns, les portraits peints aux extrémités de l'avant-plan sont ceux du célèbre enlumineur Guillaume Vrelant, ami de Memlinc, et de sa femme, qui auraient offert le tableau en 1478 à la Gilde de Saint- Jean et de Saint-Luc pour orner l'autel de la Corporation dans l'église de Saint- Barthélémy à Bruges (2). Pour les autres, les donateurs seraient Thomas Portinari et sa femme (3), et l'œuvre aurait été exécutée en Toscane!... La multiplicité des scènes

(1) Le D' Rubbrecht, de Bruges, croit reconnaître Marie de Bourgogne dans la sainte Catherine et Marguerite d'York dans la sainte Barbe.

(1) Weale. Biographie p. lo.

(3) Cf. WuBZBACH. On attribue à Memlinc un portrait qui représente, croit-on, Thomas Portinari (coll. Goldschmidt), œuvre assez lourde, exécutée vers 1475. L'Homme en prière, des Offices, daté de 1487 (moitié d'un diptyque) et provenant de Santa-Maria- Nuova, a été considéré également comme un portrait de Portinari par Memlinc.